Les araignées de tous les records

La plus grosse araignée, la "plus venimeuse", celles qui peuvent attraper des oiseaux...
Quand on ne s'intéresse que vaguement aux araignées, ce que l'on connaît de leur monde se résume souvent à ces statistiques sensationnelles. Les records captivent l'imagination, s'imprimant durablement et facilement dans la mémoire. Ils sont donc généralement notre premier contact, et les premières connaissances engrangées, avec un nouveau domaine que nous découvrons. Demandez à un enfant quelle taille fait une baleine, et, s'il connait une réponse, il vous dira probablement "33 mètres et 190 tonnes" plutôt que la taille moyenne d'une baleine bleue, ou celle des espèces moins grandes.

Le souci avec les records, c'est qu'en raison même de leur nature hors-normes, leur valeur pédagogique est assez limitée: dire qu'une baleine bleue mesure 33 mètres, ou qu'un guépard court à 110km/h, est aussi vrai que de dire que les humains mesurent 2.60 m et courent à 44km/h!

Comme ces extrêmes ne nous disent finalement pas grand-chose d'utile, ils tendent à être boudés par les sources vraiment "sérieuses", qui leur préfèrent des données plus représentatives, dans une volonté d'informer plus rigoureusement et d'éviter le sensationnalisme.
Elles laissent par conséquent le domaine des records aux médias "grand public", écrits par des gens qui ne connaissent pas forcément bien leur sujet, surtout quand celui-ci est aussi pointu que les Arachnides. Cela s'accompagne malheureusement de son lot d'informations aux sources et à la véracité douteuse. Il s'agit plus souvent de factoids basés sur des infos de seconde main, voire du on-dit, fréquemment présentés sur un ton plus sensationnel qu'éducatif, que de connaissance fiable.
C'est fort dommage, car cela signifie que le premier contact avec le monde des araignées se fera par l'assimilation de mythes qu'il faudra ensuite déconstruire...

Face à ce problème rampant de mésinformation, un petit groupe de chercheurs, mené par les arachnologues italiens Stefano Mammola et Marco Isaia (dont nous avons déjà précédemment salué le travail sur les fausses informations transmises par les médias au sujet des araignées) a publié, en 2017, un sympathique article listant de nombreux records du monde des araignées et de l'arachnologie. Contrairement aux informations trouvées dans la plupart des médias, cette publication résulte d'un méticuleux travail de recherche et de vérification, les records listés sont soigneusement sourcés, et basés sur des données issues de publications scientifiques ayant fait l'objet d'un peer-review.
Elle n'a cependant pas fait beaucoup de bruit hors du monde de la recherche (comme la plupart des articles scientifiques), surtout pas en France (vu que celui-ci est en anglais), bien qu'elle vaille le détour. 

Histoire de faire un peu de "publicité" pour cet article, et pour offrir un contenu similaire à nos lecteurs non anglophones, voici une liste de records du monde des araignées, en français, écrite avec la même rigueur dans la recherche (pour toutes les infos qui ne viendraient pas de Mammola et al., 2017).
Afin de présenter plus d'intérêt qu'une simple traduction (et aussi pour inciter, idéalement, à aller le lire), les deux listes se recoupent mais ne sont pas identiques; vous trouverez certains records ici qui ne figurent pas dans la leur, et vice-versa. 

Les araignées sont des animaux fabuleux, et les exploits dont elles sont capables valent le coup de s'y attarder et de s'en émerveiller. Il serait malheureux de sacrifier cet émerveillement au nom de la rigueur scientifique, surtout quand rien n'empêche de concilier les deux!

Les néphiles comme Trichonephila clavipes sont détentrices de plusieurs records étonnants


1. Morphologie, anatomie

- La plus grande du monde: Les arachnologues mesurent une araignée en se basant sur la longueur du corps, sans les pattes. Selon ce critère, les plus grandes (et grosses) araignées du monde sont les espèces du genre Theraphosa, souvent appelées "mygales goliath". Theraphosa blondi est la plus souvent citée, mais sa cousine T.stirmi est de taille similaire (T. apophysis, la troisième espèce du genre, est légèrement plus petite): les plus grosses femelles peuvent dépasser 10 cm de longueur de corps, pour une masse qui peut atteindre 170g! Pattes étalées (une position dans laquelle elles ne se tiennent pas spontanément), les plus grandes femelles peuvent atteindre 28 cm d'envergure...

Les Theraphosa d'Amazonie sont les plus grosses araignées du monde, avec un corps qui peut dépasser 10 cm chez les plus grosses femelles (photo: Jérémie Lapèze)


Ce qui ne leur donne que la deuxième place en termes d'envergure de pattes. Heteropoda maxima, une Sparassidae cavernicole endémique du Laos, présente une envergure légèrement plus grande: jusqu'à 30 cm! Son corps est cependant considérablement plus petit que celui des Theraphosa (jusqu'à 48 mm).

- La plus grande d'Europe: Le record de "la plus grande araignée d'Europe" est hautement dépendant de la manière dont on délimite ce continent. Si l'on se base sur une notion de géographie physique, et que l'on situe la frontière orientale de l'Europe au niveau des monts Oural, et qu'elle est délimitée au sud-est par le Caucase, la Mer Noire, le Bosphore et la mer de Marmara, alors la plus grande espèce d'Europe est Macrothele calpeiana, la mygale andalouse. Cette grosse araignée, dont le corps, chez les femelles, peut atteindre 35 mm (en excluant ses longues filières), est originaire du sud de l'Espagne. Il n'est cependant pas rare de la rencontrer dans la motte d'oliviers andalous destinés à l'exportation, par le biais desquels elle voyage un peu partout en Europe et s'est établie dans des régions d'Espagne où elle était absente, ainsi qu'en Italie.

Originaire du sud de l'Espagne, Macrothele calpeiana peut dépasser 35 mm de long, ce qui en fait la plus grosse araignée d'Europe

Si l'on se base sur une définition politique de l'Europe, et que l'on y inclut Chypre, géographiquement située en Asie occidentale mais membre de l'Union Européenne, alors la plus grosse araignée d'Europe est la mygale Chaetopelma olivaceum (présente à Chypre, en Turquie anatolienne, au Moyen Orient et en Afrique du nord-est) dont le corps, chez les femelles, peut approcher 45 mm.

- La plus grande de France métropolitaine: La plus grande espèce d'araignée présente sur le territoire français, DROM-COM inclus, est aussi la plus grande du monde, puisque Theraphosa blondi est commune en Guyane. Aucune araignée de France métropolitaine n'est comparable, même de loin, à cette géante, mais on y trouve tout de même des espèces de taille respectable.
En longueur de corps, le titre est disputé par deux espèces de très grosses araignées-loup méditerranéennes, qui peuvent toutes deux atteindre, voire dépasser légèrement, les 30 mm: Lycosa tarantula et Hogna radiata. Au sens strict, c'est probablement à Lycosa tarantula que revient le record: sa longueur moyenne est supérieure à celle d'Hogna radiata, qui n'atteint qu'exceptionnellement de telles dimensions

Avec un corps qui peut atteindre 30 mm de long, la tarentule, Lycosa tarantula, est la plus grosse araignée de France métropolitaine

Bien que Hogna radiata soit généralement plus petite que Lycosa tarantula, elle peut atteindre des tailles similaires, comme cette femelle de 32 mm qui représente un probable record pour l'espèce, et un possible record pour une araignée de France métropolitaine

Du fait de leur silhouette relativement trapue, ces deux grosses espèces ne sont cependant pas les araignées françaises avec la plus grande envergure de pattes. Ce record revient aux mâles Tegenaria parietina, dont les très longues pattes leur donnent une envergure qui peut dépasser 12 cm, voire atteindre 14 cm!

- Les plus longues pattes: Les Pholcidae sont connus pour leurs pattes fines, souvent longues voire extrêmement longues, plus encore chez les mâles que chez les femelles. Le record est probablement détenu par une des espèces de la sous-famille des Smeringopinae, représentée en France par l'espèce Holocnemus pluchei; chez celle-ci, les pattes de la première paire des mâles peuvent être neuf fois plus longues que le corps!
Les immenses pattes des Pholcidae sont des armes de chasse redoutables, qui leur permettent d'emballer leur proie tout en gardant leur minuscule corps à une confortable distance, les protégeant d'une éventuelle contre-attaque. Grâce à cela, ils sont capables de capturer des proies à haut risque, comme des guêpes, d'autres araignées ou des scorpions!
Pour les mâles, ces pattes servent également à tenir leur vorace partenaire à distance lors de l'accouplement; c'est pour cela qu'elles sont souvent plus longues chez eux que chez les femelles.
A noter que l'on trouve également des pattes très longues et fines, sans toutefois atteindre les proportions des Pholcidae les mieux pourvus, chez d'autres familles, comme les Leptonetidae, les Psilodercidae ou les Drymusidae.

Les Pholcidae Smeringopinae sont dotés de pattes immensément longues; chez ce Smeringopus sp. d'Afrique du Sud, elles sont sept fois plus longues que le corps


- Les plus longues chélicères: Le record des plus longues chélicères (en longueur relative, par rapport à celle du corps) revient aux très bizarres membres de la famille des Archaeidae: chez certaines espèces de cette famille (certaines espèces du genre Eriauchenius de Madagascar, notamment), les segments basaux (ou paturons) des chélicères sont pratiquement d'une longueur égale, voire supérieure, à celle du corps, des filières à la bouche. Pour accommoder la présence de tels appendices, la région du céphalothorax se situant entre la bouche et la base des chélicères est étrangement étirée, formant un long "cou"au sommet duquel se trouve une "tête" bulbeuse portant les yeux, tandis que la bouche est en bas; cela leur donne un profil rappelant étrangement un pélican, d'où leur nom commun anglais "araignées-pélicans".
Avec ce long "cou", et ces immenses chélicères, assorties à de très longues pattes, à la présence, chez certaines espèces, de petites "cornes" de tégument près des yeux, et même, chez certains fossiles, d'un abdomen pédonculé, les Archaeidae détiennent aussi probablement le record (un tantinet subjectif) de la morphologie la plus étrange chez les araignées.

Les Archaeidae sont probablement les plus étranges de toutes les araignées. Sur cette espèce fossile (Myrmecarchaea antecessor) le "cou" est plus court et plus épais que chez les espèces actuelles, mais cette espèce avait la particularité d'un abdomen pédonculé, rappelant (et imitant probablement) celui d'une fourmi.

Ces immenses chélicères sont une adaptation à un régime particulier: les Archaeidae se nourrissent de proies bien armées et tout à fait capables de contre-attaquer, à savoir d'autres araignées. Elles ne sont pas dotées, comme les Mimetidae (qui sont également spécialistes de la chasse aux araignées), d'un venin adapté pour les foudroyer quasi-instantanément, ni de pattes capables de lancer les fils de soie à distance comme les Ariamnes ou les Pholcidae. Ce sont leurs très longues chélicères qui sont adaptées à ces proies "à haut risque": elles peuvent ainsi mordre une autre araignée et la garder empalée au bout d'un de leurs crochets, leur corps hors de portée d'une contre-attaque, le temps que le venin fasse son effet.

- Les plus longs crochets: Les Archaeidae détiennent le record des plus longues chélicères, mais les crochets eux-mêmes ne sont pas aussi longs que la tige basale.
Chez certaines espèces d'araignées, un dimorphisme sexuel existe au niveau des chélicères, hypertrophiées chez les mâles. Chez certaines Salticidae, ces chélicères géantes sont des instruments de parade, qui leur donnent un avantage compétitif, soit dans le choix des femelles soit dans des affrontements ritualisés entre mâles, par rapport à des rivaux moins bien pourvus. Dans le genre Myrmaplata, par exemple, les mâles les mieux dotés présentent des chélicères dont la tige basale atteint deux tiers, voire trois quarts de la longueur du corps. Les crochets étant aussi longs que celle-ci, ils sont probablement les plus longs de toutes les araignées.
Hors cas de dimorphisme sexuel, le record des plus longs crochets revient aux mygales de la famille des Atypidae (genres Atypus, Sphodros et Calommata). Ces araignées sont dotées de courtes pattes et de chélicères énormes, aux crochets (de même que la tige basale) aussi longs que le céphalothorax entier.
Leur morphologie très particulière est adaptée à un mode de vie entièrement souterrain; elles chassent à l'aide d'une toile en forme de tube partiellement enterré (voir "la toile la plus bizarre"), et capturent leurs proies en mordant à l'aveugle à travers la paroi du tube, perçant la soie avec leurs crochets.

Hors cas d'hypertrophie due à un dimorphisme sexuel, les Atypidae, comme ce mâle Atypus affinis (placé sur le dos pour mieux montrer ses crochets), sont dotées des plus longs crochets de toutes les araignées: ils sont aussi longs que le céphalothorax entier.

- Le dimorphisme sexuel le plus extrême: Le dimorphisme sexuel est un aspect très variable de la biologie des araignées, chez lesquelles on en retrouve quasiment chaque degré imaginable, d'une apparence presque identique d'un sexe à l'autre (à part la présence de bulbes copulateurs sur les pédipalpes des mâles) chez certaines espèces, à des différences telles que l'on peut aisément prendre les deux sexes pour des espèces, voire des familles différentes si on ne les voit pas ensemble.
Les cas les plus extrêmes de dimorphisme sexuel se retrouvent chez certains genres de la famille des Araneidae, chez lesquels les mâles sont non seulement très différents des femelles en termes de forme générale et de coloration, mais surtout considérablement plus petits que leurs partenaires. Plus spécifiquement, la palme revient très probablement aux néphiles (genres Nephila et Trichonephila) dont les femelles peuvent avoir un corps jusqu'à 10 fois plus long que celui des mâles, et une masse plusieurs centaines de fois supérieure. Le cannibalisme sexuel est très répandu dans la famille des Araneidae, et cette énorme différence de taille est généralement interprétée comme un moyen de réduire sa fréquence, le mâle étant si petit que la femelle ne l'identifie pas comme une proie potentielle.

Chez les néphiles (ici Trichonephila clavipes), les mâles sont absolument minuscules comparés aux énormes femelles, qui peuvent être plusieurs centaines de fois plus lourdes qu'eux

- La plus petite: Les plus petites araignées de la planète appartiennent à la famille des Symphytognathidae, de minuscules araignées qui tissent des (petites mais très grandes comparées à leur taille) toiles orbiculaires près du sol, entre les feuilles mortes. Les plus "grosses" espèces de cette famille mesurent moins de 2 mm, et beaucoup sont si petites qu'on les distingue à peine à l’œil nu. Anapistula ataecina du Portugal détient le record de la plus petite taille chez une femelle adulte, avec une taille minimale 0.43 mm, tandis que deux espèces du genre Patu, P. digua et P. marplesi, se disputent le titre du plus petit mâle (et de la plus petite taille chez une araignée adulte, tous sexes confondus): entre 0.3 et 0.4 mm!

2. Toiles et chasse

- La plus grande toile individuelle: Les toiles d'araignées n'ont pas toujours une forme régulière et facile à mesurer. Pas étonnant, donc, que les records chiffrés disponibles concernent des espèces à toiles orbiculaires, dont la forme en disque à peu près plat est aisément mesurable. En termes de diamètre absolu de la spirale de la toile (la partie en forme de disque, qui piège les proies), le record revient aux femelles des plus grandes espèces des genres Nephila et Trichonephila, les néphiles, de la famille des Araneidae. Ces très grosses araignées tissent des toiles dont le diamètre peut atteindre 1.3 m, voire plus!

Les néphiles (ici Trichonephila clavipes, la néphile américaine) sont célèbres pour leurs toiles géantes au diamètre souvent métrique, dont la soie est souvent jaune

Ces solides pièges, destinés à la capture de gros insectes, sont généralement tissés en travers d'une trouée de végétation de quelques mètres de large.
Il existe cependant, toujours chez les Araneidae, une espèce qui ne suspend pas ses toiles en travers d'une trouée de végétation ou même d'un chemin forestier, mais au-dessus de rivières dont la largeur peut atteindre jusqu'à 25 m!
Grâce à cet impressionnant exploit, Caerostris darwini de Madagascar détient le double record de la plus longue toile (fil de suspension inclus) et de la plus grande toile individuelle en superficie, si l'on inclut la spirale de la toile et son cadre.

Les espèces du genre Caerostris (il ne s'agit pas, sur cette photo, de C. darwini, mais de C. sexcuspidata, une espèce africaine) tissent de très grandes toiles proportionnellement à leur taille


- La plus grande toile:
Si les néphiles et Caerostris darwini détiennent le record des plus grandes toiles individuelles, elles ne sont pas titulaires de celui des plus grandes toiles (en superficie). En effet, celles-ci sont le résultat du travail d'équipe de l'araignée sociale Anelosimus eximius d'Amazonie. La taille des colonies d'Anelosimus eximius varie fortement, notamment en fonction de l'habitat, mais celles qui sont établies au niveau des lisières peuvent parfois compter plusieurs dizaines de milliers d'individus. Au sein de leur toile collective, ces petites araignées collaborent pour la capture de grosses proies, qu'elles consomment à plusieurs, mais aussi pour le soin apporté aux jeunes.
Une toile collective abritant des milliers d'individus peut atteindre une taille considérable (bien que difficile à mesurer du fait de sa forme irrégulière) et recouvrir des buissons, voire des pans de végétation entiers, sur une surface de plusieurs mètres carrés.

- La toile (de chasse) la plus minimaliste: Deux genres, dans deux familles différentes, détiennent ensemble le record de la toile la plus minimaliste: un seul fil!
Les très étranges espèces du genre tropical Ariamnes (famille des Theridiidae) se nourrissent principalement d'autres araignées, notamment des mâles d'Araneidae, de Tetragnathidae et de Theridiidae, qui errent à la recherche de la toile d'une femelle.
Les Ariamnes tendent un fil non collant, ou quelques-uns, entre deux branches ou entre deux buissons. En apparence, ces fils forment un "pont de corde" bien commode pour circuler, qu'empruntent les araignées mâles (ils fabriquent leurs propres fils de déplacement, mais s'ils en trouvent un déjà existant, l'utiliser représente une économie d'énergie) et occasionnellement d'autres petits Arthropodes. Cependant, contrairement à Ariane dont le fil a sauvé la vie de Thésée, celui d'Ariamnes les mène à la mort: elle se tient embusquée à l'autre bout, prête à emballer et mordre toute victime qui se présentera.

Chez la famille des Uloboridae, certaines espèces du genre Miagrammopes, chassent également à l'aide d'une toile à un seul fil (tandis que d'autres fabriquent 2 à 5 fils). Contrairement au fil "basique" d'Ariamnes, celui des Miagrammopes recèle cependant un secret: une portion de celui-ci est cribellée, et extrêmement adhésive. Malgré sa simplicité, il est très efficace pour la capture de petits insectes volants. Lorsque l'araignée chasse, elle tient son fil cassé, une extrémité tenue par ses pattes de derrière et l'autre par ses pattes de devant, ce qui lui permet d'en contrôler la tension. Lorsqu'un insecte s'accroche dessus, elle le détend brutalement et le secoue, ce qui a pour effet de l'emmêler complètement autour de sa proie. 

Les toiles des espèces du genre Miagrammopes sont très simples, parfois réduites à un seul fil, cassé au niveau de l'endroit où se tient l'araignée
 

D'autres espèces d'araignées dans d'autres familles (certaines Araneidae, genre Phoroncidia chez les Theridiidae par exemple) fabriquent elles aussi des toiles réduites à un seul fil; cependant, ces pièges sont en fait beaucoup plus complexes que ceux des Ariamnes et Miagrammopes, car ils mettent en jeu des substance attractives pour appâter les proies.

- Le fil le plus solide: Actuellement, le fil le plus solide connu chez les araignées est l'immense "câble" de soutien de la toile géante de Caerostris darwini de Madagascar (voir "la plus grande toile"). Ce fil de suspension, qui peut atteindre 25 mètres de long et enjambe des rivières entières, doit porter le poids de l'énorme toile, tout en résistant aux éléments, et notamment au vent. Ce fil de gros diamètre, constitué de nombreuses fibres de soies, a une force de tension de 520 MJ/m³ (alors que la moyenne, chez les araignées, est de 350 MJ/m³); elle est 10 fois supérieure à celle du kevlar!

Les immenses toiles des plus grandes Araneidae (ici une toile d'Argiope lobata) sont soutenues par de gros "câbles" constitués de nombreuses fibres de soie, dont la solidité ne manquera pas d'étonner l'observateur qui aurait la curiosité de tirer doucement dessus


Si ce fil de soutien est très probablement le plus résistant de tous, il conviendra de citer aussi, dans les "mentions honorables", le record du fil de capture le plus solide, pour lequel deux taxons se trouvent probablement ex aequo: les toiles géantes des néphiles sont assez résistantes pour capturer de petits oiseaux ou des chauves-souris, tandis que certaines espèces de Latrodectus, comme Latrodectus geometricus, fabriquent des toiles aux fils si solides qu'ils peuvent non seulement résister à des rongeurs de la taille d'une souris adulte, mais permettent même à l'araignée de les capturer avec succès.

- La soie la plus collante: Tous les fils de soie, y compris parmi ceux que les araignées utilisent pour fabriquer leurs pièges, ne sont pas forcément collants. Seules quelques familles fabriquent des fils enduits de glu pour piéger leurs proies, notamment les Araneidae, les Tetragnathidae, les Nesticidae et certaines Theridiidae. Chez ces dernières, certaines espèces de la sous-familles des Latrodectinae, chez les genres Steatoda et Latrodectus, fabriquent des toiles de type "gumfoot", non collantes, sauf les fils reliés au sol, dont la base est couverte de grosses gouttes de glu, pour capturer les proies marchant à proximité. Quand une proie s'y colle, la base, fragile, casse, et le fil se contracte, tirant la victime vers le haut, où se trouve l'araignée. Chez certaines espèces de Latrodectus, ces gouttes de glu sont si collantes qu'elles peuvent retenir de très grosses proies, comme des scolopendres ou de petits vertébrés.

Sous leur apparence désordonnée, les toiles de Latrodectus cachent une redoutable complexité, dont des fils très collants capable de retenir de grosses proies

 

- La toile la plus bizarre: De toutes les araignées, les mygales de la famille des Atypidae (genres Atypus, Sphodros et Calommata, voir "les plus longs crochets") fabriquent les toiles qui ressemblent probablement le moins à des toiles d'araignées: un tube partiellement enterré, en forme de chaussette, fermé au deux bouts, juste assez large pour que l'araignée puisse se retourner à l'intérieur. Une partie de cette "chaussette" émerge du sol, généralement fixée contre un support dur comme une pierre ou un tronc, mais parfois simplement accrochée à la surface du sol. Cette partie émergente de la "chaussette" est recouverte de débris et de terre, et ressemble à s'y méprendre à une racine. Lorsqu'elle se repose, l'araignée se tient dans les profondeurs du tube souterrain, mais s'embusque dans la partie émergée lorsqu'elle chasse. Si un insecte marche par mégarde sur cette racine, elle mord à travers le tube avec ses énormes crochets, et l'emporte à l'intérieur. 

L'étrange toile en forme de chaussette, partiellement enterrée et couverte de débris, d'Atypus affinis

- La plus grosse proie: Grâce à leur soie et à leur venin, les araignées sont capables de maitriser des proies plus grosses qu'elles, parfois considérablement plus grosses. Le record de la plus grosse proie en taille absolue revient probablement à Theraphosa blondi (voir: "la plus grande araignée"), capable de capturer de très grosses proies comme des grenouilles, des serpents, et surtout d'énormes lombrics dont la taille peut atteindre un mètre. Ceci dit, cette araignée chasse ces grosses proies parce qu'avec sa masse qui peut largement dépasser 150 grammes, elle est elle-même un assez gros prédateur.
Ce n'est pas le cas des Latrodectus, qui sont nettement plus petites (moins d'un gramme) mais peuvent, grâce à leurs toiles extrêmement solides et très collantes, et à leur venin aussi actif sur les Arthropodes que sur les vertébrés, capturer des proies considérablement plus grosses qu'elles.
Plusieurs espèces du genre capturent régulièrement des lézards, de petits serpents, et même de petits rongeurs. Latrodectus geometricus, dont les femelles mesurent 8 à 13 mm et ne pèsent qu'un demi-gramme au maximum, détient le probable record de la plus grosse proie en taille relative: une femelle a été observée en train de consommer un jeune rat d'une vingtaine de grammes, plus de quarante fois plus lourd que son prédateur!
Les immenses toiles des néphiles (genres Nephila et Trichonephila) sont remarquablement solides, et sont célèbres pour leur capacité à capturer des chauves-souris ou de petits oiseaux sans casser. La plus grosse proie jamais trouvée dans une toile de néphile était une tourterelle de 80 grammes! Cependant, cette "capture" était vraisemblablement accidentelle, car elle a été trouvée emmêlée dans une toile inoccupée. Bien qu'il arrive que les néphiles consomment de très petits oiseaux pris dans leurs toiles, ceux-ci sont souvent trop gros pour que l'araignée essaie vraiment de les capturer. Généralement, si un oiseau se retrouve piégé dans une toile de néphile, celle-ci va chercher à le libérer avant qu'il n'abîme trop la toile.

Ce hanneton est plus lourd qu'elle, mais il n'est qu'un amuse-bouche comparé à la taille maximale des proies que cette Latrodectus geometricus peut capturer!

- La technique de chasse la plus insolite: La diversité des stratégies de chasse des araignées est incroyable, mais une famille se distingue des autres par une technique si particulière qu'elle met en jeu un organe complètement inédit, qui n'existe pas chez les autres araignées: les Scytodidae, ou araignées cracheuses. Ces étranges araignées (répandues partout dans le monde) aux déplacements lents, sont reconnaissables à la carapace étrangement bombée de leur céphalothorax. Cet aspect bombé est dû à la présence, à l'intérieur du céphalothorax, d'une paire de volumineux diverticules au niveau des glandes à venin. Ces glandes produisent une substance très gluante et élastique, chimiquement et structurellement similaire à de la soie, qui passe par les mêmes canaux que le venin. Lorsqu'une Scytodidae chasse, elle peut, à l'aide d'un très rapide mouvement de ses chélicères spécialisées, projeter à distance une paire de bandes de cette substance gluante, mélangée à du venin, sur une proie. Non seulement cette substance englue la proie, mais elle se contracte fortement en séchant au contact de l'air, l'immobilisant totalement. Une fois sa victime ainsi maîtrisée sans risque, l'araignée l'approche ensuite pour l'achever d'une morsure venimeuse.

Après avoir immobilisé sa proie en lui "crachant" des bandes de glu collante dessus, cette araignée cracheuse (Scytodes thoracica) vient l'achever d'une morsure


- La plus fine stratège: La plupart des araignées chassent avec de stratégies qui peuvent être d'une remarquable complexité, mais qui restent des comportements stéréotypés: ces stratégies resteront toujours plus ou moins les mêmes à chaque fois que l'araignée chassera. Certaines présentent un peu plus de plasticité que d'autres dans leurs méthodes de chasse, et disposent d'un panel de techniques pour différent types de proies et/ou différents contextes, mais dans les limites d'une gamme de comportements instinctifs.
Il existe, toutefois, un taxon qui fascine les chercheurs par sa capacité unique à adapter ses techniques de chasse: le genre Portia, chez les Salticidae, qui regroupe 21 espèces d'Afrique, d'Asie et d'Océanie. Chassant essentiellement, mais pas seulement, d'autres araignées, les Portia peuvent, par exemple, fabriquer une toile de chasse (alors que la plupart des Salticidae chassent en maraude), utiliser la toile d'une autre araignée, voire la modifier pour leur propre usage, aussi bien qu'elles peuvent chasser en maraude. Elles peuvent leurrer une araignée tisseuse de toiles (une Araneidae, par exemple) en tirant les fils de sa toile à la manière d'une proie, tout comme elles peuvent traquer une araignée sauteuse bien camouflée en la poussant à se révéler en bougeant.
Cependant, ce sont deux capacités particulières qui les distinguent, pour l'instant, de toutes les autres araignées connues: elles peuvent résoudre des problèmes et modifier leurs stratégies pendant la traque, voire en élaborer de nouvelles, et sont capables de garder des informations en mémoire. Par exemple, une Portia qui leurrait une Gasteracantha en tirant les fils de sa toile comme une proie, a été vue changeant soudain de technique de traque lorsqu'une brise, secouant la toile, lui a fourni un camouflage pour une approche rapide. Par ailleurs, il a été observé que lorsqu'elle traque une proie, une Portia se montre capable de mémoriser son emplacement si elle perd sa cible de vue, lui permettant de mieux dissimuler son approche par une voie détournée, ce qu'aucune autre araignée n'est connue pour être capable de faire.

- La chasse la plus périlleuse: Pour une araignée, les fourmis sont une des proies les plus dangereuses qui soient (et sont autant, sinon plus, des prédateurs que des proies). Recouvertes d'un solide exosquelette, elles sont armées de puissantes mandibules à une extrémité et souvent d'un dard à l'autre; certaines ont même la capacité de projeter des jets d'acide. De plus, (et surtout), alors qu'une seule fourmi est déjà un adversaire redoutable en soi pour une petite araignée, leur force est justement dans le nombre: chacune a d'innombrables sœurs prêtes à accourir à sa rescousse. Cependant, les fourmis représentent une biomasse considérable, et donc une abondante ressource alimentaire pour qui peut en profiter. Pas étonnant, donc, que malgré le danger, plusieurs espèces d'araignées au sein de plusieurs familles aient évolué vers un régime myrmécophage.
La plupart des araignées myrmécophages se comportent en assassins discrets, neutralisant et emportant une fourmi isolée sans lui laisser l'opportunité d'appeler ses sœurs à son secours, évitant toute confrontation avec la colonie.
Les espèces du genre Zodarion, elles, semblent tenter le diable: non seulement elles chassent des fourmis sans tisser de toile, mais elles vivent généralement à proximité immédiate des fourmilières; pour rejoindre sa loge et y prendre son repas en sécurité, un Zodarion doit traverser, avec sa proie, le territoire de la colonie de la fourmi qu'il vient de tuer!
Les Zodarion chassent en marge du territoire de la colonie, là où les fourmis s'aventurent généralement seules en quête de nourriture, attaquant une ouvrière isolée, qui sera rapidement neutralisée à l'aide d'un venin spécialisé. C'est sur le trajet du retour vers sa loge que l'araignée doit employer une technique remarquablement ingénieuse: le mimétisme agressif. Les fourmis se repérant plus à l'odeur et au toucher qu'à la vue, le Zodarion utilise sa proie comme un bouclier olfactif, portant sa dépouille devant lui et se couvrant de son odeur. Ainsi, en cas de rencontre avec une fourmi, celle-ci reconnaîtra l'odeur de l'une des siennes au lieu de celle du prédateur. Cette technique seule ne serait toutefois pas suffisante: lorsque deux fourmis de la même colonie se rencontrent, elles se palpent avec leur antennes pour se reconnaître. Lorsqu'il rencontre une fourmi, le Zodarion imite donc ce comportement: il la palpe à l'aide de ses pattes de devant, dont la texture et les mouvements imitent ceux des antennes de ses proies. Il peut ainsi se faire passer pour une fourmi, et rejoindre tranquillement sa loge sans se faire mettre en pièces.

Myrmécophages, les Zodarion spp. vivent à proximité des colonies de fourmis, dont ils se protègent en se couvrant de leur odeur et en imitant leurs signaux tactiles

3. Pontes

- Le plus gros cocon ovigère: Les Palystes sont de grosses araignées, principalement répandues en Afrique australe, de la famille des Sparassidae. Beaucoup de Sparassidae sont de très grosses araignées, qui produisent des pontes très volumineuses, mais certaines espèces du genre Palystes comme P. castaneus ou P. superciliosus se distinguent des autres Sparassidae par leurs pontes qui, en plus d'être volumineuses (jusqu'à 200 œufs), sont emballées dans un énorme cocon extrêmement élaboré. Gros comme un poing (jusqu'à plus de 10 cm de diamètre), ce cocon a des parois très épaisses, à plusieurs couches, auxquelles sont incorporées des débris divers (feuilles, brindilles, fibres variées...). Celui-ci est suspendu dans la végétation environnante, à l'aide de longs et solides "câbles" qui l'accrochent aux branches tout en le tenant éloigné des brindilles et feuilles alentour. La femelle monte généralement la garde sur le cocon, jusqu'à l'émergence de ses petits.
La raison pour laquelle la fabrication de telles forteresses suspendues a évolué chez certaines espèces de Palystes (et pas chez d'autres, ni chez d'autres araignées fréquentant le même milieu) n'est pas identifiée avec certitude, mais il est supposé que les parois épaisses du cocon protègent la ponte des parasites comme les Mantispidae en cachant l'odeur des œufs; il est aussi possible que cette structure complexe vise à protéger la ponte (et la mère) de la redoutable voracité des fourmis. 

Une femelle Palystes castaneus gardant son énorme cocon ovigère, de plus de 10 cm de diamètre

 

- La plus grosse ponte: Les néphiles produisent d'énormes pontes, contenant plusieurs milliers d’œufs. le record du plus grand nombre d’œufs documenté à l'heure actuelle est détenu par Nephila pilipes, capable de produire 3000 œufs par ponte, et de pondre un total de presque 10 000 œufs au cours de sa vie. Il existe, chez les araignées, une corrélation entre taille du corps et volume de la ponte, et les néphiles sont les plus grandes représentantes de la famille des Araneidae. De plus, chez cette famille, la stratégie reproductive dominante est de produire des pontes très volumineuses, car elles ont une durée de vie courte et ne surveillent pas leurs pontes: elles pondent, produisant plusieurs cocons, puis meurent. L'énorme quantité d’œufs produite permet d'assurer leur descendance, même en cas de pertes importantes du fait de l'absence de protection.

Les néphiles (ici Trichonephila fenestrata) produisent des pontes énormes, pouvant compter plusieurs milliers d’œufs

- La plus petite ponte: Les minuscules Symphytognathidae, famille qui inclut les plus petites araignées du monde (voir "la plus petite") sont aussi celles qui produisent les plus petites pontes documentées: certaines espèces de cette familles ne pondent qu'un œuf! D'autres en pondent deux ou trois seulement. D'autres familles d'araignées de taille minuscule, comme les Oonopidae, les Anapidae ou les Mysmenidae, produisent également des pontes de très petite taille (moins de cinq œufs, souvent deux ou trois) et il est probable que l'on trouve également des espèces de ces familles qui ne pondent qu'un seul œuf. A noter que même chez ces espèces qui ne pondent qu'un œuf, celui-ci est emballé dans un cocon, comme le font toutes les araignées.

- La ponte la plus mystérieuse: "Silkhenge", une étrange structure de soie constituée d'une tourelle conique entourée d'un cercle évoquant une clôture, a été surnommée ainsi à cause de sa ressemblance avec le cercle de pierres de Stonehenge. Cet étonnant et minuscule (quelque millimètres de diamètre) édifice de soie a été observé pour la première fois en 2013, par un étudiant américain, Troy Alexander, lors d'un voyage en Amazonie péruvienne. Depuis, ces structures ont été observées à plusieurs reprises dans d'autres localités de la région, et il a été identifié qu'il s'agissait de cocons ovigères d'araignées. La base du cône central contient un à trois œufs, dont l'éclosion a pu être observée en 2017 par les biologistes Phil Torres et Aaron Pomerantz, confirmant qu'il s'agissait bien d'araignées. Cependant, les araignées étant très difficiles à identifier (même à la famille) dans les premiers stades de leur vie, ceux-ci n'ont pas pu être déterminés.
Une tentative d'identification à l'aide de critères génétiques (barcoding) est restée également  infructueuse, car l'espèce qui produit ces cocons n'est visiblement pas enregistrée dans les banques de données génétiques. Cela n'est pas étonnant; au vu de la taille minuscule des structures et du très petit nombre d’œufs qu'elles contiennent, l'architecte de "silkhenge" est probablement une très petite espèce, potentiellement de la famille des Anapidae ou d'une autre famille de micro-araignées. Les espèces de ces familles, peu étudiées et faciles à rater lors d'une campagne d'échantillonnage, sont très mal connues, surtout dans les régions reculées comme l'Amazonie; très peu de ces minuscules espèces sont décrites, et on ne sait souvent presque rien de la biologie de celles qui le sont.

"Silkhenge", un cocon ovigère d'une fascinante complexité, fabriqué par une espèce encore non identifiée (photo: Phil Torres, source)

Taxonomie et paléontologie

- L'araignée fossile la plus ancienne:  La plus ancienne araignée fossile connue actuellement est Arthrolycosa wolterbeeki, du Carbonifère (environ -310 millions d'années) d'Allemagne. Appartenant au sous-ordre des Mesothelae, cette araignée est dotée d'un abdomen segmenté, mais aussi de filières nettement visibles sur le fossile. Elle est plus vieille d'environ 5 Ma que la précédente détentrice du record, Idmonarachne brasieri. De plus, contrairement à cette dernière dont l'absence apparente de filières met en doute sa classification comme une "araignée au sens strict", A. wolterbeeki présente indiscutablement les caractéristiques d'une araignée.

- La famille actuelle la plus ancienne : La plupart des plus anciens représentants fossiles des familles d'araignées actuelles datent du Crétacé, où l'apparition des plantes à fleurs il y a environ 130 Ma, qui a fait exploser la diversité des insectes, semble avoir également engendré une diversification majeure des araignées. Un certain nombre d'entre elles, comme les Salticidae, semblent plus récentes, et seraient apparues au début du Cénozoïque, entre -66 Ma et aujourd'hui.
Cependant, un petit nombre des familles d'araignées existant encore sont des reliques d'un passé beaucoup plus lointain. Ainsi, une mygale fossile du Trias des Vosges, Rosamygale grauvogeli, vieille d'environ 245 millions d'années, a été décrite comme une Hexathelidae (au sens large), une famille existant encore actuellement. Cela fait des Hexathelidae la plus ancienne famille d'araignées, et la plus ancienne famille de mygales, existant encore. Malheureusement, la famille des Hexathelidae a été récemment divisée, et le fossile n'a pas été réétudié (si tant est que cela soit possible!) pour déterminer s'il est à classer dans les Hexathelidae au sens strict ou dans l'une des familles qui en ont été séparées, comme les Macrothelidae.
Tandis que l'infra-ordre des Aranéomorphes est aussi ancien que celui des Mygalomorphes, les plus anciennes familles de cette lignée sont aujourd'hui éteintes. La plus ancienne famille d'Aranéomorphes existant encore actuellement est celle des Archaeidae (voir "les plus longues chélicères"), dont les plus anciens représentants fossiles sont connus du Jurassique. Autre distinction unique à cette très étrange famille, elle est aussi la seule famille d'araignées décrite à l'état fossile avant que des espèces actuelles n'en soient découvertes!
Deux autres familles actuelles d'Aranéomorphes, les Uloboridae et les Plectreuridae, ont toutefois pratiquement le même âge.

En plus de leur morphologie très bizarre, les Archaeidae sont la plus ancienne des familles d'Aranéomorphes actuellement existantes, et la seule famille connue d'abord par des fossiles (comme cette Myrmecarchaea pediculus de l’Éocène) avant que des espèces vivantes ne soient découvertes (photos: Hannah Wood, source)

Enfin, si le sous-ordre des Mesothelae, qui remonte au Carbonifère (voir "la plus ancienne araignée fossile"), est indubitablement la lignée d'araignées la plus ancienne existant actuellement, elle est aujourd'hui représentée par deux familles, les Heptathelidae et les Liphistiidae, dont aucun fossile n'est connu (et qui sont donc, jusqu'à preuve du contraire, relativement récentes).

- La famille la plus diverse: Les 135 familles dans lesquelles sont réparties les quelque 52000 espèces d'araignées actuellement décrites sont très inégales. Certaines regroupent quelques milliers d'espèces, tandis que la diversité totale des plus petites familles peut se compter sur les doigts d'une main. La plus diversifiée de toutes est l'énorme famille des Salticidae, qui compte presque 6700 espèces décrites à travers le monde. Juste derrière sur le podium, figurent les Linyphiidae, avec plus de 4800 espèces, et les Araneidae, avec un peu plus de 3100 espèces. A noter que ces nombres changent très vite; entre 500 et 1000 nouvelles espèces d'araignées sont découvertes chaque année, et le nombre de familles change lui aussi au gré des reclassifications.

Les Salticidae, les araignées sauteuses, reconnaissables à leurs grands yeux médians antérieurs, sont la famille la plus diversifiée de l'ordre des araignées, avec plus de 6700 espèces dans le monde

- La famille la moins diverse: Parmi les plus petites familles d'araignées, quelques-unes sont monospécifiques, c'est-à-dire qu'elles ne contiennent qu'une seule espèce. Il en existe actuellement cinq, qui se partagent le record des familles les moins diverses: les Fonteferridae, une famille très récemment décrite (2023) avec la minuscule espèce Fonteferrea minutissima, endémique de l'Algrave, au Portugal, les Huttoniidae, avec l'espèce Huttonia palpimanoides, endémique de Nouvelle-Zélande, les Megahexuridae, avec l'espèce Megahexura fulva de Californie, les Myrmecicultoridae avec l'espèce Myrmecicultor chihuahuensis du désert du Chihuahua (à la frontière entre les USA et le Mexique), et les Trogloraptoridae avec l'espèce Trogloraptor marchingtoni, une cavernicole endémique de l'écorégion du Klamath, entre l'Oregon et la Californie.
Ces espèces présentent des morphologies extrêmement particulières, et la plupart ont évolué dans des habitats spécifiques, dans des zones géographiques restreintes et isolées, favorisant l'émergence d'espèces si distinctes de toutes les autres araignées connues qu'elles sont inclassables dans les familles existantes. Dans le cas des Huttoniidae, la description d'espèces fossiles de cette famille suggère que l'espèce néo-zélandaise actuelle est une "relique" d'un groupe autrefois plus diversifié et répandu. A noter aussi que des prospections récentes dans les forêts néo-zélandaises suggèrent que cette famille compterait en fait plusieurs espèces non encore décrites¹.

4. Déplacements

- La plus rapide à la course en ligne droite au sol: Les araignées les plus rapides à la course, sur surface horizontale, dont la vitesse a été mesurée, seraient actuellement les tégénaires. Le Livre des records donne une vitesse de course de 53 cm/s, soit 1.9km/h, pour les tégénaires noires (Eratigena gr.atrica), tandis que des mesures publiées scientifiquement donnent une vitesse de course de 19 cm/s, soit 0.6 km/h, pour Tegenaria domestica (bien plus petite que les tégénaires noires). Cela paraît lent, mais correspond tout de même à une vitesse relative, respectivement, de 29 et 17 fois la longueur de leur corps parcourue en une seconde... C'est autant que le record enregistré chez le plus rapide des mammifères, à savoir le guépard!
Il faut également garder à l'esprit qu'il s'agit de la vitesse maximale mesurée, or l'échantillon d'espèces dont la vitesse a été mesurée est très loin d'être exhaustif; il est très possible, et même hautement probable, qu'il existe des coureuses plus rapides, notamment chez les familles principalement ou exclusivement errantes, comme les Ctenidae, les Sparassidae, les Trechaleidae, les Lycosidae ou les Pisauridae.

Actuellement, les tégénaires noires (Eratigena gr.atrica) sont les araignées les plus rapides parmi celles dont la vitesse de course a été mesurée


- La plus rapide dans ses déplacements: si les tégénaires sont les plus rapides chronométrées à la course en ligne droite, elles ne sont pas les araignées qui se déplacent le plus vite.
Certaines araignées aux pattes latérigrades, comme les Selenopidae, sont capables de se déplacer de côté ou de tourner à à une vitesse telle qu'on a l'impression de les voir "se téléporter". Ces dernières détiennent le record des déplacements rotatifs les plus rapides: une Selenopidae peut atteindre un point placé à une distance de 5 fois la longueur de son corps en 40 à 116 millisecondes, soit moins que la durée d'un clin d'oeil! Ces araignées au corps très plat chassent embusquées sur les surfaces verticales comme les murs, les parois rocheuses ou les troncs, attendant qu'un insecte se pose non loin pour fondre sur lui. Leur incroyable capacité à tourner sur elles-mêmes leur permet de capturer des proies dans n'importe quelle direction, y compris derrière elles, littéralement en un clin d'oeil.
Cependant, même les Selenopidae n'effectuent pas le déplacement le plus rapide, en vitesse absolue: celui-ci revient à une Sparassidae des dunes du Namib, Cebrennus rechenbergi. Pour échapper à ses prédateurs (en particulier les guêpes de la famille des Pompilidae) cette espèce a une méthode originale: elle se met en boule et se laisse rouler, dévalant les dunes à une vitesse qui peut atteindre 2 mètres par seconde, soit 7 km/h. Il s'agit cependant d'un déplacement passif, assisté par la gravité.

Capables des mouvements rotatifs les plus rapides enregistrés chez une araignée, les Selenopidae sont capables de tourner plusieurs fois sur elles-mêmes dans le temps d'un clin d'oeil


- Les plus grands sauts: Bon nombre de familles d'araignées errantes, comme les Oxyopidae, les Clubionidae, les Oonopidae, les Sparassidae, les Philodromidae ou encore les Lycosidae, sautent occasionnellement ou fréquemment lorsqu'elles se déplacent. Cependant, les championnes en la matière, aussi bien en termes de fréquence et de précision que de distance, sont les Salticidae (d'où leur nom commun d'araignées sauteuses). Sautant aussi bien pour franchir des obstacles que pour capturer leurs proies, elles sont capables de bonds d'une longueur impressionnante. Certaines sources affirment que ces bonds atteindraient 50 fois la longueur du corps, mais le plus long scientifiquement documenté était une distance de 38 fois la longueur du corps

Autant en distance qu'en précision, les Salticidae (ici Philaeus chrysops) sont les sauteuses les plus accomplies de toutes les araignées

En plus d'être incroyablement rapides dans leurs déplacement latéraux, les Selenopidae (voir "le déplacement le plus rapide") sont aussi championnes de saut en profondeur: dans les forêts d'Amérique du Sud, elles ont été observées en train de "planer" d'arbre en arbre, sautant du haut des branches pour parcourir des distances de plusieurs dizaines de mètres en ralentissant leur chute et en contrôlant leur trajectoire à l'aide de leur corps très plat. Il s'agit toutefois moins de sauter que de "tomber avec panache"!

- Les plus longs déplacements non assistés: Pour se déplacer sur de courtes distances, les araignées utilisent leurs pattes. Cependant, pour voyager sur des distances plus longues, par exemple pour conquérir de nouveaux habitats, les petites araignées (espèces de petite taille ou juvéniles d'espèces plus grandes) sont capables de pratiquer une forme de vol passif. Elle se servent de longs fils de soie comme d'un parachute ascensionnel pour s'envoler, tirées vers le haut par les charges électriques de l'atmosphère et les courants ascendants. Ce vol passif, appelé "ballooning", les porte généralement à quelques kilomètres, ou quelques dizaines de kilomètres. Cependant, l'araignée, une fois en l'air, n'a pas de maîtrise sur sa trajectoire; tributaires des courants, il leur arrive d'être transportées sur des centaines, voire des milliers de kilomètres!

Les jeunes de nombreuses espèces d'araignées, comme ce juvénile Atypus affinis, se dispersent par les airs, avec un vol passif qui peut les porter sur de très longues distances

- Les plus longs déplacements assistés: En 2019, une Amaurobius sp., vraisemblablement en provenance du Royaume Uni, a voyagé avec une cargaison de bois jusqu'à la station de recherche de Rothera, en Antarctique, où elle est arrivée vivante... Après un périple de plus de 14000 km! Difficile de faire mieux... Sur Terre.
En effet, il ne s'agit pas du plus long voyage jamais entrepris par une araignée, puisque certaines sont allées dans l'espace! Les dernières en date, des Trichonephila clavipes envoyées en 2011 sur la Station Spatiale Internationale pour y tester les effets de l'absence de gravité sur le tissage de leurs toiles, y sont restées 67 jours (du 16 mai au 21 juillet). Sachant que l'ISS tourne autour de la Terre 16 fois en 24 heures, ces araignées en orbite ont fait plus de 1000 fois le tour du monde!
Leur voyage a cependant été autrement plus confortable que celui de l'Amaurobius anglaise accidentellement expédiée au Pôle Sud, étant donné que ces astronautes à huit pattes étaient nourries et surveillées par des scientifiques assurant leur bien-être... Et leur voyage de retour.

Astronautes malgré elles, les néphiles américaines (Trichonephila clavipes) qui ont passé 67 jours à bord de l'ISS en 2011 ont vécu le plus grand voyage jamais effectué par des araignées (et contrairement à d'autres animaux envoyés en orbite, elles ont pu revenir sur Terre)

- La plus répandue dans le monde: Les espèces d'araignées synanthropes qui fréquentent l'intérieur des habitations humaines trouvent des conditions de vies à peu près stables et propices à leur existence quel que soit l'endroit de la planète où elles sont établies. De plus, ce mode de vie les rend très susceptibles d'être transportées accidentellement avec les affaires de leurs hôtes humains lorsqu'ils voyagent ou déménagent. Plusieurs espèces comme Pholcus phalangioides, Parasteatoda tepidariorum, Tegenaria domestica ou Nesticodes rufipes ont pratiquement conquis la planète. Parmi ces espèces, qui sont toutes répandues sur les cinq continents, la championne selon les observations enregistrées sur INaturalist semble être Steatoda grossa: en plus d'être très commune dans la plupart des endroits où elle est présente, la limite nord de sa répartition est une ligne qui passe par l'Alaska, la Finlande et la Sibérie, tandis que le point le plus au sud de sa distribution est la ville la plus au sud de la planète: Ushuaïa, en Terre de Feu. Cette espèce est aujourd'hui si répandue que son origine exacte est inconnue.
Tegenaria domestica n'a pas des populations aussi denses, et il existe beaucoup de régions où elle n'est pas très commune, mais elle détient l'exploit d'être à la fois présente en Patagonie, la zone peuplée la plus australe du monde, et au nord du cercle polaire Arctique!
Enfin, Nesticodes rufipes, si elle n'est pas aussi répandue que les deux précédentes espèces, mérite quand même une mention honorable pour avoir atteint, depuis l'Amérique du Sud, des îles du Pacifique qui sont parmi les plus éloignées de tout continent.

Steatoda grossa est très commune dans les habitations presque partout sur la planète, de l'Alaska à la Patagonie et de la Sibérie à la Nouvelle-Zélande

5. Les araignées dans la culture humaine

- La première espèce scientifiquement décrite: Ce record est actuellement partagé par 53 espèces, collectivement décrites et nommées par le naturaliste suédois Carl Alexander Clerck en 1757 (l'ouvrage, Svenska Spindlar, en décrit 68, mais plusieurs ont été considérées comme des synonymes, invalides, depuis). Bien que cet ouvrage ait techniquement été publié un an avant la dixième édition du Systema Naturae de Linné, qui définit pour la première fois les règles de la nomenclature zoologique, les noms et descriptions d'espèces publiées par Clerck sont considérés comme valides car ils respectent les règles définies par Linné.

Araneus angulatus, l'espèce-type du genre Araneus et de la famille des Araneidae, fait partie des toutes premières espèces d'araignées scientifiquement décrites, par Clerck en 1757
 

- La plus ancienne représentation d'araignée: Malgré une théorie actuellement très en vogue, comme quoi la peur des araignées serait aussi vieille que l'humanité et inscrite dans notre "mémoire génétique", les représentations anciennes d'araignées sont peu nombreuses (ce qui ne cadre pas vraiment avec l'idée qu'elles aient pu un jour être une préoccupation majeure pour nos ancêtres).
Les peintures rupestres, et plus encore les gravures, étant souvent délicates à dater avec précision, il existe plusieurs candidats possibles, qu'il est difficile de départager.
Des araignées apparaissent occasionnellement dans l'art rupestre des Aborigènes d'Australie. Ces peintures étant extrêmement difficiles à dater du fait de la continuité historique de cet art (qui est pratiqué depuis près de 25000 ans et l'est encore aujourd'hui) et de son caractère sacré, il est possible, mais pas démontré, que certains de ces dessins soient les plus anciennes représentations d'araignées.

Absentes dans l'art Paléolithique (à l'exception possible de l'Australie), les premières représentations connues et à peu près datées d'araignées sont néolithiques. Des gravures rupestres de l'oasis de Kharga, en Égypte, d'une forme ovale à laquelle sont attachées huit lignes coudées évoquant des pattes, pourraient représenter des araignées, et pourraient dater d'avant ou durant la période prédynastique (4500 à 3150 ans av.J.C). Uniques aussi bien dans leur style (beaucoup plus grossier que la plupart des représentations animales de l'art égyptien, même prédynastique) que dans le thème représenté (les araignées, contrairement aux serpents et scorpions, ne sont pas vraiment présentes dans l'art égyptien), ces gravures sont très difficiles à rattacher à d'autres œuvres pariétales de la région, et donc à dater. L'araignée et ses talents de fileuse apparaissent dans la littérature et la gravure sumériennes (5500-1800 av.J.C). Les textes Sumériens représentent les plus anciennes mentions écrites d'araignées, et les images associées en sont les plus anciennes datées avec précision.
On retrouve également des représentations d'araignées, et de leurs toiles, dans les peintures pariétales des grottes de Peñablanca (province de Cagayan), aux Philippines, dont l'âge est estimé à environ 3500 ans (donc a priori bien plus récentes que les gravures égyptiennes et sumériennes).
Les représentations d'araignées sur le continent Américain, nettement plus abondantes et plus célèbres, par exemple chez les cultures Cupisnique/Moche, Nazca, et Mississippiennes, sont, en revanche, beaucoup plus récentes.

Sceau cylindrique Sumérien (et son empreinte) d'environ 3000 avant J.C, représentant une araignée et une femme accroupie, interprété comme une probable représentation de Uttu, déesse sumérienne du filage et du textile (British Museum)

- La plus ancienne apparition d'une araignée au cinéma: Le court-métrage muet "Une nuit terrible" de Georges Méliès (1896) montrait un dormeur dérangé dans son sommeil par une énorme araignée (?) qui grimpe sur son lit. Il n'est cependant pas facile de déterminer si la marionnette utilisée représente un arachnide ou une punaise de lit (le corps est en deux parties mais l'abdomen semble segmenté). S'il s'agit bien d'une araignée, alors leur première apparition au cinéma est aussi vieille que les effets spéciaux, et presque aussi vieille que le cinéma lui-même. A noter que la version de ce film qui est passée à la postérité ne serait pas l'original, mais un court-métrage un peu plus récent (1899), avec des décors et un angle de caméra différents.

Affiche (à l'authenticité incertaine) du court métrage "Une Nuit Terrible", de Georges Méliès (source)


La première apparition d'une vraie araignée au cinéma semble être dans le long métrage muet "Nosferatu" de F. W. Murnau (1922), qui inclut un bref plan montrant une épeire diadème (Araneus diadematus) emballant sa proie.

- L'espèce la plus consommée dans le monde: Différents taxons d'araignées sont consommés par les humains un peu partout dans le monde, notamment diverses espèces de néphiles (genre Thrichonephila) en Océanie, à Madagascar et au Mexique, et des Theraphosidae de grande taille chez certains peuples Amazoniens. Cependant, ces cas restent des consommations occasionnelles, suite à des captures opportunistes. Il existe, en revanche, une consommation intensive et ciblée de mygales au Cambodge, principalement dans la ville de Skun. L'espèce la plus concernée par cette activité est Cyriopagopus albostriatus, mais d'autres espèces locales comme C. longipes et C. lividum le seraient également. Les araignées sont mangées frites, par les Cambodgiens, mais aussi et surtout par de nombreux touristes intrigués par cette curiosité alimentaire (surtout depuis les années 2010 où celle-ci a fait le buzz sur les réseaux sociaux).

En 2011, il était estimé que le nombre de mygales vendues à Skun se situait quelque part entre 500 et 1500 individus par jour!
En supposant que l'essentiel de ces mygales sont des C. albostriatus, cela fait d'elle, de loin, l'espèce d'araignée la plus consommée dans le monde.
Même s'il existe des vendeurs et restaurateurs qui prétendent (sans que cela ne soit certain) que leurs araignées sont issues d'élevages, l'essentiel des mygales vendues à Skun et dans le reste du Cambodge sont prélevées dans la nature. Depuis le boost généré par le tourisme, des fournisseurs venus d'autres régions du pays se sont ajoutés aux ramasseurs locaux, qui rapportent un déclin de l'espèce dans la région. Bien que ces mygales grandissent relativement vite comparées à d'autres Theraphosidae, il leur faut plus d'un an pour atteindre la maturité sexuelle, et ont une espérance de vie de plusieurs années. Ces prélèvement intensifs sont donc difficilement conciliables avec leur rythme reproductif relativement lent, d'autant que les individus consommés sont des femelles adultes; leur chasse au Cambodge n'est donc actuellement pas considérée comme une activité durable, et pourrait devenir une menace importante pour l'espèce (ou les espèces) concernée(s).

- La plus crainte à travers le monde: Depuis l'avènement des réseaux sociaux, la transmission de légendes urbaines et autres fausses croyances a pris un essor considérable. Contraints de faire de l'audience à tout prix pour avoir de la valeur en tant que plateformes publicitaires dans un monde où ils sont en compétition avec les autres contenus publiés sur ces réseaux, de nombreux journaux s'adonnent sans vergogne au sensationnalisme.
Les araignées étant un des sujets favoris pour faire peur à moindre frais, certains taxons médicalement importants, notamment les Latrodectus, Phoneutria et Loxosceles, se retrouvent accusés des méfaits les plus délirants. De toutes les araignées, l'espèce autour de laquelle cristallisent le plus de psychoses est sans aucun doute la recluse brune, Loxosceles reclusa.
Bien qu'elle se rencontre uniquement aux Etats-Unis, et seulement dans le sud-est du pays, elle est l'objet de légendes urbaines, fréquemment véhiculées par des médias peu rigoureux, partout dans le monde, autant dans des régions où il existe d'autres espèces de Loxosceles avec lesquelles celle-ci est confondue (comme le sud de l'Europe, l'Afrique ou l'ouest des USA) que là où ce genre est complètement absent (comme l'Europe non méditerranéenne, ou le Canada). 

De nombreux articles de presse française font passer Loxosceles rufescens, la recluse méditerranéenne, pour la recluse brune (Loxosceles reclusa). De plus, la plupart de ces articles parlent en fait de cas de diagnostics incertains, où l'accusation de l'araignée est établie sans preuve directe, et souvent improbable.


Les Loxosceles sont les araignées qui reviennent le plus dans les articles anxiogènes de journaux, et la recluse brune est l'espèce dont ces articles parlent le plus.

La principale raison pour lesquelles les recluses sont les plus célèbres des croquemitaines à huit pattes est le fait que leurs morsures soient peu douloureuses, et les ulcères cutanés qu'elles peuvent devenir sont visuellement impossibles à distinguer de ceux causés par certains autres agents pathogènes (infections bactériennes et troubles de la circulation, principalement), le seul critère permettant un diagnostic certain étant d'avoir vu l'araignée mordre. Il en découle un nombre considérable de cas où des lésions cutanées sans rapport avec des araignées sont diagnostiqués par erreur comme des morsures de Loxosceles, et prises par les médias et la population comme des "preuves" de présence de la recluse brune dans des régions où elle n'existe pas.
Cette espèce présente, de plus, une allure insignifiante, sans critères distinctifs évidents, qui fait que d'autres espèces d'araignées vaguement brunes sont souvent confondues, autant par les observateurs humains que par les outils automatisés comme Google Lens, avec la recluse. Ces deux caractéristiques, plus le fait qu'elle soit connue pour volontiers occuper les habitations humaines, lui donnent un profil idéal pour être un objet de psychoses, que l'on pense voir partout, et surtout là où elle n'est pas.

- La plus exagérée de l'Histoire: Le nom de "tarentule" vient de la ville de Tarente, dans le sud de l'Italie, où ce nom désignait, à l'origine, Lycosa tarantula (voir "la plus grosse de France métropolitaine), qui faisait l'objet d'une étrange et terrifiante légende locale. Entre le XIe et le XVIIIe siècles, dans les Pouilles, cette araignée, accusée de mordre les gens dans leur sommeil, était réputée très dangereuse, pouvant causer un syndrome mortel appelé "tarentisme" par les médecins de l'époque. Les effets du tarentisme étaient décrits comme essentiellement psychologiques, affectant l'humeur en causant un état frénétique et délirant, ou au contraire léthargique et apathique, ou encore les deux en alternance. Ce syndrome était réputé incurable, mais traitable par une danse endiablée (supposée faire exsuder le venin sous l'effet de l'effort) sur une musique particulière, la tarentelle, à laquelle les malades du tarentisme réagissaient vivement. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, ce phénomène, intriguant les médecins et autres lettrés de toute l'Europe, prit tant d'ampleur que des "épidémies de tarentisme" furent enregistrées ailleurs en Europe, notamment en Espagne.
Pourtant, on sait aujourd'hui que la morsure de Lycosa tarantula est douloureuse, mais sans gravité pour les humains, et ne cause que des effets locaux et passagers.
A partir du XIXe siècle, avec l'essor d'une approche plus scientifique de la médecine et de l'étude des venins, le tarentisme fut démontré comme un mythe médical, qui tomba peu à peu en désuétude, même dans les Pouilles.
La tarentelle, elle, est restée une tradition musicale bien vivante, bien qu'elle ait perdu sa connexion avec l'araignée et son statut médicinal.
Actuellement considéré comme un phénomène de psychose de masse, le tarentisme a plusieurs hypothèses explicatives possibles; la plus simple est qu'il fournissait peut-être une explication commode à des troubles psychiatriques (dépression, troubles bipolaires ou borderline...) que l'on avait du mal à comprendre, et plus encore à soigner.

C'est peut-être simplement son allure intimidante, et le besoin d'expliquer des troubles psychiatriques incompréhensibles pour la médecine de l'époque, qui ont contribué à faire de l'impressionnante mais inoffensive Lycosa tarantula l'objet d'une légende insolite et tenace

- La plus exagérée par les médias modernes: En nombre d'articles anxiogènes à leur sujet, les espèces du genre Loxosceles sont indubitablement les favorites de la presse.
Cependant, il existe une autre araignée au sujet de laquelle les inepties régulièrement véhiculées par les médias sont encore plus ridicules et exagérées: Phoneutria nigriventer, "l'araignée-banane".
Si l'image donnée aux Loxosceles par les journaux est celle du croquemitaine sournois que le chaland craint de voir entrer dans sa maison au milieu de la nuit, alors Phoneutria nigriventer serait plutôt comparable à King Kong: un monstre complètement improbable, sur lequel toutes les affabulations sont permises, puisque la légende le place au cœur d'une lointaine jungle impénétrable où rien ne semble impossible...
Il faut dire qu'avec sa taille qui atteint 40 mm de corps pour environ 15 cm d'envergure, sa distribution sud-américaine qui complique la tâche pour aller vérifier sur place, et son venin médicalement important, le genre Phoneutria a le profil idéal pour servir de base à un monstre mythique. 

Curieusement, les articles de presse au sujet des Phoneutria concernent presque toujours l'espèce P. nigriventer en particulier. Cette espèce n'en est pourtant qu'une parmi neuf dans le même genre, pas spécialement faciles à distinguer les unes des autres.
Évidemment, cette bizarrerie vient du fait que ces articles sont écrits par des personnes qui n'ont aucune connaissance en arachnologie, et qui ne vont pas rechercher en profondeur sur le sujet puisque le but est de produire vite et en masse du contenu percutant et racoleur, pas d'informer. Ces auteurs passent beaucoup de temps à se copier les uns les autres sans vérifier, ce qui fait que des erreurs, approximations ou incohérences tendent à devenir récurrentes, et à former peu à peu un véritable folklore.

De toutes les araignées, Phoneutria nigriventer est probablement celle sur laquelle circulent les rumeurs les plus ridicules (photo: João Burini)

Littéralement tout ce qui concerne cette araignée est exagéré à l'extrême: de sa taille, qui passe de 15cm d'envergure à "des pattes de 15 cm de long" (ce qui lui donnerait une envergure de plus de 30 cm!) à une prétendue tendance à "jouer avec ses proies avant de les manger" (ce qui n'est basé sur strictement rien de vrai)!
De même, le priapisme que causerait sa morsure chez l'homme, présenté comme un effet courant de son venin au point de servir de traitement des troubles de l'érection, est une énorme exagération d'un symptôme qui n'apparait que dans moins de 0.5% des cas. La molécule explorée ne vient pas du venin de l'araignée, il s'agit d'un homologue de synthèse imitant la conformation d'une des toxines du venin, qui cause un priapisme chez le rat, mais pas de la toxine elle-même, qui présente trop d'effets indésirables...
Mais surtout, tel King Kong arraché à sa jungle natale pour venir ravager New York, elle a la réputation de débarquer fréquemment en Europe par le biais de cargaisons de bananes. En réalité, les importations accidentelles de Phoneutria sont extrêmement rares, et ces cas concernent en fait d'autres araignées bien plus courantes (et inoffensives) comme Heteropoda venatoria, Acanthoctenus spp. et Cupiennius spp., qui sont confondues et présentées, à tort, comme des Phoneutria par les médias.

Voyageant fréquemment depuis les tropiques avec des cargaisons de fruits, l'inoffensive Heteropoda venatoria est souvent prise, à tort, pour une Phoneutria à son arrivée

Enfin, les pires exagérations concernent probablement sa dangerosité: elle a la réputation d'être extrêmement agressive, et surtout mortelle pour les humains. Certains articles prétendent même qu'elle "serait capable de tuer un homme de 80 kilos d'une seule morsure" ou que "2 à 3% des cas de morsures seraient mortels en l'absence de traitement" alors qu'en réalité les cas sévères, qui peuvent mettre en danger la vie d'une personne, ne représentent que 0.5% des cas de morsures et concernent presque uniquement les enfants de moins de 10 ans, pas les adultes de 80 kilos. Alors que des milliers de personnes sont mordues chaque année au Brésil, il n'existe que 5 cas fatals enregistrés considérés comme "très probablement ou certainement causés par une Phoneutria" dont deux indubitablement causés par une Phoneutria, enregistrés depuis 1903.
Au départ, l'hystérie et les exagérations autour de Phoneutria nigriventer sont venues de l'attribution par le livre Guinness des records du titre de "l'araignée la plus venimeuse" à cette espèce. Un record qu'elle ne mérite pas, et qui n'a par ailleurs pas beaucoup de sens; vous pourrez comprendre pourquoi dans la partie "Bonus" de cet article, à découvrir en cliquant ici.



¹ Platnick N., éd. Spiders of the World: a Natural History. Ivy Press, Brighton, 2020.

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