Spider Tales 3: Cinq légendes urbaines répandues (mais fausses) sur les araignées

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"Tout ce qui est dit sur Internet n'est pas forcément vrai"
Albert Einstein*

 
Parmi les animaux injustement détestés, les araignées sont probablement ceux sur lesquels le plus de bêtises sont véhiculées. Parce que beaucoup de gens en ont peur, et parce que le biais de confirmation nous rend plus crédules envers ce qui va dans le sens de nos peurs, elles sont au centre de nombreuses légendes urbaines plus ou moins tirées par les cheveux.
Il est absolument certain que vous en avez déjà entendu plusieurs, et peut-être même croyez-vous à au moins une d'entre elles. Pas de honte à avoir à ce sujet: les araignées sont si mal connues et mal perçues du grand public qu'il est très difficile de trouver des sources fiables pour se documenter, tant la tendance générale est au sensationnalisme plutôt qu'à l'information de qualité. Malheureusement, quand on cherche des infos sur les araignées, on trouvera plus aisément l'une de ces légendes urbaines (ou d'autres, comme les morsures non provoquées) que du contenu factuel et scientifiquement rigoureux.

Nettoyons un peu tout ça, en disséquant cinq mythes bien trop souvent dispensés dans notre entourage et même parfois dans les médias, sur un ton on ne peut plus sérieux, et qui ne sont pourtant qu'un tissu d'idées reçues, d'approximations douteuses et d'inventions complètes.

Légende urbaine n°1: les araignées entrent dans les maisons en automne pour être au chaud pendant l'hiver.

Grande, sombre, velue, rapide: de toutes les araignées de nos maisons, la tégénaire noire (Eratigena gr. atrica) est sans doute la plus célèbre et mal-aimée.


L'automne arrive, les nuits rafraîchissent et les jours raccourcissent. C'est en cette saison que se produit un phénomène bien connu et redouté par les arachnophobes: de grosses araignées à grandes pattes, de couleur sombre, apparaissent régulièrement dans les pièces habitées de la maison. Ces "énormes" araignées "noires" (qui sont en fait brunes, ornées de motifs gris et ocre) sont des tégénaires, un groupe d'araignées (genres Tegenaria et Eratigena) qui sont des habitantes classiques de nos greniers, caves et garages.

Bien qu'elles soient parfaitement inoffensives pour l'homme, leur taille parfois spectaculaire, leur longues pattes et leur rapidité effraient de nombreuses personnes, qui se trouvent assez préoccupées par leur irruption saisonnière dans notre intimité. Certain(e)s vont même jusqu'à arrêter d'ouvrir leurs fenêtres durant cette période de l'année, par peur de laisser entrer ces pensionnaires non désirées dans leur domicile.
En effet, selon une idée reçue largement répandue, et somme toute assez logique (puisque d'autres animaux le font: punaises et coccinelles, par exemple), ces araignées entreraient dans les maisons au premières fraîcheurs pour passer l'hiver au chaud.

Si cette explication a l'avantage d'être simple, elle a l'inconvénient d'être fausse: fermer ses fenêtres n'empêchera pas les tégénaires de rentrer, car elles ne viennent pas de dehors.
Bien sûr, il arrive que des araignées d'extérieur entrent accidentellement dans les maisons ; mais ce n'est pas la raison pour laquelle on y trouve plus de tégénaires en automne.

En fait, la plupart des tégénaires observées dans les maisons à l'automne sont des mâles, reconnaissables (en plus de leurs bulbes copulateurs) à leurs pattes immensément longues. En bons synanthropes, ils n'ont pas grandi en extérieur, mais dans les parties inhabitées de la maison (cave, grenier, garage...) ou dans une construction voisine. Une fois devenus adultes, ce qui leur arrive entre la fin de l'été et le début de l'automne, ces messieurs abandonnent la toile où ils vivaient jusque là pour se mettre en quête des femelles, qui, elles, restent sur leur toile. Au cours de leur errance, il leur arrive de nous croiser dans les pièces que nous occupons (ce qui est dangereux pour eux, pas pour nous). En revanche, à moins qu'ils y trouvent la toile d'une femelle cachée dans un recoin de la pièce, ils n'y resteront pas longtemps.

Tégénaire noire (Eratigena gr. atrica) mâle. Par rapport aux femelles, les pattes sont bien plus longues; ils peuvent dépasser 12 cm d'envergure.

Légende urbaine n°2: Les tégénaires remonteraient dans les baignoires par les canalisations.


Encore une légende concernant les tégénaires, très liée à la précédente: à l'automne, lorsque les mâles se mettent en quête des femelles, il n'est pas rare de trouver l'une de ces grandes araignées au fond de la baignoire. C'est même l'un des endroits où on les trouve le plus fréquemment.  A cause de cette observation, on entend souvent dire que c'est parce que ces araignées remontent dans les salles de bain par les canalisations. Pourtant, boucher le trou de la bonde ne vous empêchera pas d'en trouver quand même dans votre baignoire.

En effet, ce n'est pas par les canalisations que ces araignées circulent, mais en se déplaçant au sol, y compris sous les portes, et en escaladant les murs; mais si, dans son errance, le mâle tégénaire tombe dans une baignoire ou un évier, aux parois lisses et émaillées, il sera bien en peine d'en ressortir.
Comme il est dépourvu de scopula, les pelotes adhésives (photo ci-dessous) dont sont dotées certaines araignées, et qui leur permettent d'escalader les parois lisses, ses pattes ripent sur la céramique: il est piégé.
D'ailleurs, précisément parce qu'elles sont dépourvues de scopula (et incapables de survivre très longtemps sous l'eau), ces araignées seraient bien incapables de grimper par les canalisations. S'il peut arriver de voir une araignée sortir de la bonde, c'est que la pauvre bête a fini par tomber dedans et remonte brusquement avec le niveau de l'eau (les araignées flottent, au moins temporairement) au moment où celle-ci se remplit, quand on ouvre le robinet.

Scopula sur un tarse de mygale (Tliltocatl albopilosum)

Si vous voulez leur venir en aide, ou éviter de les croiser, le mieux reste de laisser un chiffon, une serviette, ou simplement le rideau de douche, pendre du bord jusqu'au fond de la baignoire, ce qui lui permettra de remonter en s'accrochant au tissu, et d'avoir déserté les lieux le lendemain matin.

Légende urbaine n°3: il n'est pas très rare de trouver la dangereuse araignée-banane dans des cargaisons de fruits exotiques.


Voilà une histoire que l'on a régulièrement l'occasion de lire dans les journaux, et qui a de quoi faire peur: un commerçant ou un particulier, en déballant des fruits exotiques (des bananes, le plus souvent) y découvre une très grosse araignée. La bête en question est invariablement identifiée comme Phoneutria nigriventer, autrement appelée araignée-banane. Et le journal de préciser, bien sûr, que cette espèce peut être mortelle pour l'homme...

Mâle Phoneutria sp. sur feuille de bananier (source)


D'entrée, certains détails chiffonnent. D'abord, quand on consulte des sources sérieuses, on s'aperçoit que la Phoneutria nigriventer en question ne vit que dans certains pays d'Amérique du Sud, à savoir le Brésil, l'Argentine, le Paraguay et l'Uruguay. Bizarrement, aucun de ces pays ne fait partie des principaux exportateurs de bananes... Et la France n'importe pas de bananes issues de ces pays. D'ailleurs, toutes les espèces du genre Phoneutria ne se rencontrent qu'en Amérique du Sud, sauf une, P. depilata, que l'on retrouve aussi en Amérique Centrale...
Comment diable une araignée endémique des forêts subtropicales du bassin de l'Uruguay aurait-elle pu se retrouver, par exemple, dans une cargaison de bananes de République Dominicaine?
Autre élément mystérieux: les différentes espèces du genre Phoneutria ne sont pas simples à différencier, au point que beaucoup d'espèces ont été décrites à tort... Comment cette araignée peut-elle systématiquement et facilement être identifiée comme Phoneutria nigriventer, par des personnes non spécialistes, sans même consulter d'arachnologues?

La réponse est assez évidente: l'araignée a été "identifiée" à la va-vite, probablement suite à une simple recherche sur Google images, par des personnes (pompiers, vétérinaires...) dont les araignées ne sont absolument pas le domaine d'expertise. C'est tout simplement parce que cette espèce est particulièrement célèbre, et parce que toute recherche Google contenant les mots "araignée" et "bananes" produira assurément des centaines de résultats (pour la plupart des articles à sensation truffés d'inepties) sur Phoneutria nigriventer, que ce nom sort plus souvent qu'un autre.

D'ailleurs, quand on tombe enfin sur un journal qui daigne joindre une vraie photo du spécimen trouvé plutôt qu'une image d'archive, la supposition se trouve vite confirmée: ce n'est pas du tout une Phoneutria nigriventer, ni même une autre espèce du genre Phoneutria, mais une Heteropoda venatoria (communément appelée babouk sur l’ile de la Réunion); une autre araignée tropicale de grande taille, beaucoup plus répandue et parfaitement inoffensive.

En fait, rencontrer une véritable Phoneutria sp. dans une cargaison de bananes est excessivement rare.
Une étude regroupant toutes les identifications effectuées par des arachnologues américains pour des personnels manipulant des cargaisons importées (fruits et autres, avec un focus sur les bananes) aux USA (qui importent plus de fruits d'origine centre- et sud-américaines que l'Europe) a compilé 135 identifications d'araignées, sur une période allant de 1926 à 2013 (l'essentiel des données datant de 2006 à 2013, dates de début et fin de l'étude).
Sur ces 135 araignées identifiées, le nombre de spécimens du genre Phoneutria est de... 6! Dont UNE SEULE Phoneutria nigriventer, trouvée en  2009, non pas dans une cargaison de bananes, mais dans un colis de matériel électrique en provenance du Brésil.

En revanche, la plus fréquente  (45 spécimens sur 135) des espèces identifiées dans les cargaisons de bananes est Heteropoda venatoria, très commune dans toutes les régions tropicales, et qui vit aussi bien en ville, à l'extérieur et à l'intérieur des bâtiments, que dans les cultures, y compris les bananeraies, ou les forêts.

Mâle Heteropoda venatoria dans un bâtiment désaffecté, à Porto Rico. Cette grosse espèce, très répandue sous les tropiques, prospère dans une grande variété d'habitats, des constructions humaines aux forêts, en passant par les zones cultivées


Juste derrière en termes d'abondance, les araignées du genre Cupiennius (40 spécimens), jusqu'à récemment classées dans la même famille (les Ctenidae) que les Phoneutria, sont originaires d'Amérique centrale. Grandes et vivement colorées, elles sont très souvent confondues avec les Phoneutria, même si un connaisseur ferait aisément la différence.

En fait, les multiples lavages et traitements après récolte, ainsi que la réfrigération des bananes (même issues de l'agriculture biologique) font qu'il est fort improbable que quelque chose de vivant en provenance de la bananeraie parvienne à destination. La plupart des araignées retrouvées dans les cargaisons de bananes (et de marchandises en général) proviennent en fait plutôt des entrepôts (où Heteropoda venatoria et ses proies préférées, les blattes, abondent), et des usines de conditionnement, que des cultures.

Si cette association entre les Phoneutria sp. et les bananes est si souvent faite, c'est surtout à cause de confusions dues à leur nom commun de "banana spiders", qui ne se réfère pas à leur présence dans les cargaisons de bananes, mais dans les bananeraies sud-américaines: ces araignées, qui habitent normalement les forêts tropicales, s'adaptent comme elles peuvent lorsque les cultures grignotent leur habitat naturel.

De plus, histoire d'accentuer encore l’ambiguïté, d'autres araignées portent également ce nom commun: les néphiles (genres Nephila et Trichonephila) à cause de l'abdomen allongé et jaune de certaines espèces, et Heteropoda venatoria, à cause, cette fois, des ses apparitions inopinées parmi les bananes. De quoi bien s'emmêler les pinceaux!

Pour des raisons évidentes, les néphiles du genre Trichonephila sont aussi surnommées "banana spiders"...


Il est important de préciser, puisqu'il s'agit quand même du pilier central de cette psychose autour de l'araignée-banane, que ni les Cupiennius sp., ni Heteropoda venatoria, ni les néphiles, ne sont connues pour être à l'origine d'envenimations aigües; ces taxons sont d'ailleurs fréquemment élevés par des amateurs. Par ailleurs, la sombre réputation des Phoneutria est elle aussi, bien sûr, fortement exagérée: les réactions sévères ne représentent que 0.5% des cas de morsures, et les décès, même s'ils existent, sont exceptionnels: il n'y en aurait que deux confirmés, de très jeunes enfants. Les affirmations comme quoi Phoneutria nigriventer serait "considérée par les spécialistes comme l'araignée la plus dangereuse du monde", et plus encore qu'elle "peut tuer avec une seule morsure un homme de 80 kg" sont donc non seulement totalement infondées, mais aussi très vraisemblablement fausses.

Par ailleurs, cette vidéo virale montrant une araignée en train d'émerger d'une banane est également fausse; il s'agit d'un extrait truqué, qui met en scène une araignée en CGI, fabriqué par l'artiste Kaleb Lechowski, partagé hors contexte un peu partout sur internet. Les araignées ne disposent d'aucun organe perforant ou coupant qui leur permettrait de s'introduire ou de pondre dans un fruit (voir n°5).
 

Légende urbaine n°4: On avale parfois des araignées dans notre sommeil. 


Voici une affirmation que vous avez forcément déjà entendue, ou lue sur internet, et que vous avez peut-être eu du mal à croire: au cours de sa vie, un humain avale en moyenne 8 araignées (le nombre peut varier d'une version à l'autre) dans son sommeil.
Si cela vous semble difficile à avaler (^^), vous avez bien raison: ce factoid est totalement faux: l'autrice de BD et vulgarisatrice Marion Montaigne nous explique pourquoi sur son blog "Tu mourras moins bête".
Si un jour vous mangez une araignée, il y a de fortes chances qu'elle ressemble à ça.


En fait, la plus ancienne référence à cette légende urbaine sur Internet date de 2001, sur le site de fact-checking Snopes.com . On nous y explique que cette affirmation inventée de toutes pièces aurait été diffusée pour la première fois en 1993 par la journaliste Lisa Holst, dans un article du journal PC Professional sur les factoids absurdes circulant sur Internet, qui sont gobés (^^) et relayés sans vérification par des personnes naïves. A la fin de l'article, elle aurait cité une liste de mythes ridicules et anxiogènes sur les Arthropodes, tirés du livre Insect Facts and Folklore (1954), dont cette insolite statistique... Qui se retrouvera plus tard, ironie du sort, massivement relayée sans vérification par tout un tas d'internautes crédules.

Problème: quand on fait des recherches sur cette journaliste, impossible de retrouver sa trace, pas plus que celle du journal "PC Professional". Pas non plus de mention de ce factoid dans le livre Insect Fact and Folklore (qui ne traite absolument pas d'araignées), qu'elle aurait soi-disant utilisé comme source.
Tout ce qu'on trouve, c'est cette source quelque peu suspecte, citée par Snopes.com: Holst, Lisa Birgit. "Reading Is Believing." PC Professional. 7 January 1993 (p. 71). 

Les internautes intrigués par cette affaire en ont conclu que ni le journal, ni Lisa Holst n'existaient, et qu'il s'agissait d'un canular fabriqué par Snopes pour aiguiser l'esprit critique des lecteurs, et les inciter à rester méfiants jusqu'au bout, en bricolant une source bidon. En effet, le titre de l'article source ("lire, c'est croire") et le nom de son autrice, Lisa Birgit Holst, anagramme de "This is a big troll" ("Ceci est une vaste blague") ressemblent fortement à des indices laissés là pour corroborer cette hypothèse.... Cependant, cette conclusion est longtemps restée une supposition, jusqu'à ce qu'un communiqué publié par Snopes ne la confirme enfin en 2021 (20 ans après!).


Légende urbaine n°5: il existe des araignées qui peuvent pondre sous la peau humaine. 


C'est peut-être la moins crédible des cinq, mais de loin la plus effrayante. C'est probablement pour cette raison qu'elle est aussi l'une des plus répandues.

Même s'il s'agirait originellement d'une légende urbaine européenne des années 1970, c'est la plume d'Alvin Schwartz, dans la nouvelle The red spot (la tache rouge) du troisième opus de la série de recueils Scary stories to tell in the dark ("Histoires effrayantes à raconter dans le noir") qui a le plus contribué à sa popularité.

Illustration de Stephen Gammell pour la nouvelle horrifique "The Red Spot" d'Alvin Schwartz (1991)

Il existe autant de variantes de cette histoire que de narrateurs, mais la trame est à peu près toujours la même: une personne (pas le narrateur lui-même, en général) est mordue par une araignée ou découvre un bouton sur sa peau. Au lieu de disparaître, le bouton grossit peu à peu, et s'avère en fait être la ponte d'une araignée; suivant les versions, les œufs finissent par éclore et les araignées sortent d'une manière plus ou moins atroce, ou alors ceux-ci sont extraits avant d'avoir pu éclore d'eux-mêmes. C'est très souvent (mais pas toujours) une zone tropicale (Afrique, Amérique latine) qui sert de cadre spatial au récit.

Le fait que l'existence de ce phénomène ne soit, bizarrement, attestée par aucune preuve tangible (notamment photographique) malgré l'abondance des récits y faisant référence devrait vous mettre la puce à l'oreille: quel que soit le degré de conviction avec lequel on vous assure que cette histoire est vraie, ce scénario d'horreur est en fait une pure fiction qui ne peut PAS se produire dans la réalité. 

Malgré leur extrême diversité et la variété des soins que les différentes espèces prodiguent à leur progéniture, toutes les araignées traitent leur ponte de la même façon: en l'enveloppant dans un cocon de soie plus ou moins élaboré. Aucune exception à cette règle n'est connue. D'ailleurs, lors de la ponte, tous les œufs sortent en une seule masse par un orifice de la fente épigastrique (voir schéma ci-dessous) et sont immédiatement emballés dans la soie. Cette fente épigastrique est absolument dépourvue de quoi que ce soit qui permettrait d'introduire les œufs dans la peau; et même si l'araignée pouvait percer la peau en mordant avec ses chélicères, impossible de faire passer toute la masse dans les trous minuscules qu'ils laisseraient.

Schéma de l'anatomie d'une araignée. Noter la fente épigastrique (epigastric fold) où se trouve la sortie des oviductes, ainsi que l'absence de quoi que ce soit qui permettrait de percer ou couper la peau pour y pondre. (D'après Dippenaar-Schoeman & Jocqué, 2008)


Impossible pour l'araignée, également, de découper la peau pour y déposer sa masse d’œufs: bien que fines et pointues, les chélicères ne sont absolument pas coupantes: ce sont des "seringues", pas des "ciseaux"!

D'ailleurs, il n'existe pas d'araignée parasite (de l'homme ou d'un autre animal): toutes les espèces connues (plus de 50000) sont carnivores (sauf une, Bagheera kiplingi, qui consomme surtout des matières végétales), et ce, dès leur sortie de l’œuf.

Il existe, bien sûr, des animaux capables de pondre et/ou se développer dans la peau humaine, par exemple des insectes. Parmi ces parasites, le plus proche des araignées est un célèbre acarien, le sarcopte de la gale, invisible à l’œil nu. Mais, bien qu'il fasse lui aussi partie de la classe des Arachnides, il ne s'agit pas à proprement parler d'un proche cousin... Araignées et acariens sont aussi différents, sinon plus, que l'humain et l'ornithorynque!
Il est cependant probable que ce soit ce dernier, parfois abusivement présenté comme "proche des araignées" ou "une sorte de petite araignée" par des personnes cherchant à expliquer de manière simple ce qu'est cet animal, qui soit à l'origine de confusions, et de ce mythe.

Une autre explication très probable (et pas incompatible avec celle d'une confusion avec la gale, les deux ayant pu être amalgamées) est celle d'une confusion avec un insecte, Tunga penetrans, la puce chique ou puce des sable (à ne pas confondre avec les "puces de sable" ou talitres, qui n'ont rien à voir).
Présente dans les régions tropicales et subtropicales, cette puce minuscule (1 mm) vit dans le sol ou le sable des plages, berges de rivières et fermes, et son cycle de vie n'est pas sans similitudes avec notre légende urbaine.
Elle parasite les mammifères (dont les humains) et s'attrape, pour les humains, en marchant pieds nus (ou, plus rarement, en creusant à mains nues) sur un sol infesté. Contrairement aux puces du chat ou du chien (et autres espèces de la famille des Pulicidae) qui piquent en restant à la surface de la peau, la chique femelle pénètre sous la peau et s'y incruste, puis son abdomen enfle démesurément à mesure qu'elle se gorge de sang, pour atteindre un diamètre centimétrique. Une fois matures, les oeufs sont éjectés par la puce hors de la peau de l'hôte, qui les répand dans l'environnement en marchant sur le sol où les larves se développent.
A la surface de la peau, une chique incrustée cause une lésion qui ressemble d'abord à un petit bouton dur, qui grossit en l'espace d'environ une semaine pour pour prendre un aspect similaire à un furoncle blanc, avec un point noir au milieu (les segments abdominaux de la puce). Une attaque de puce chique n'est, en soi, pas grave, mais les lésions peuvent s'infecter, surtout si on en porte un grand nombre. La prise en charge médicale d'une infection par des puces chiques inclut l'extraction de l'animal (ou des animaux, s'il y en a plusieurs) à l'aide d'instruments stériles, et l'application d'une pommade antibiotique sur la plaie. Extraite, une chique gorgée ressemble à un sac blanc et distendu, d'environ un centimètre de diamètre. Il est possible que des personnes atteintes, faute d'explications suffisantes de la part des médecins, aient pu prendre ce sac blanc pour un sac d'oeufs d'araignée, et donner naissance à ce mythe tenace. 

Une puce chique Tunga penetrans (Sarcopsylla penetrans est un ancien nom), un insecte qui s'incruste dans la peau et a pu inspirer la légende des pontes d'araignées sous la peau; ici une femelle partiellement distendue (source: NHM, via Wikimedia Commons)


Bonus: Reconnaître une légende urbaine


Les légendes urbaines sont fascinantes, distrayantes quand on sait qu'elles sont fausses, mais peuvent sérieusement pourrir la vie d'une personne qui y croit, surtout si la croyance vient  consolider une phobie déjà existante. C'est pourquoi, quand on en rencontre une, il peut être utile de pouvoir l'identifier... Surtout qu'elles sont presque toujours racontées comme des histoires vraies, souvent par des gens qui y croient sincèrement.
Heureusement, malgré leur diversité, elles présentent souvent des éléments récurrents qui peuvent (et doivent) mettre votre esprit critique en alerte. 

D'abord, la légende urbaine est presque toujours un récit de seconde main. La personne qui la raconte est rarement celle qui l'a (prétendument) vécue. Il s'agit en général d'une personne suffisamment proche du narrateur pour garder une certaine crédibilité, mais suffisamment lointaine pour que cela reste difficile à vérifier (un cousin, un voisin, un ami d'enfance avec qui on a perdu contact...) ou d'un personnage fictif, mais nommé et décrit, pour "faire vrai". Attention tout de même: aujourd'hui, c'est surtout à travers les réseaux sociaux que ces histoires circulent. Dans ce contexte, grâce à la confortable distance qu'Internet met entre les interlocuteurs, qui permet d'ignorer facilement les avis et questions de sceptiques (et comme les mensonges sont plus difficiles à détecter à l'écrit), ces légendes sont plus souvent racontées à la première personne que lors de transmissions orales directes.

Ensuite, les légendes urbaines (c'est la clé de leur portée universelle) jouent sur des peurs, fantasmes et clichés répandus. C'est autant le cas pour les éléments centraux (araignées et autres animaux venimeux, tueurs en série, invasions, maladies, secrets militaires, surnaturel) que pour le cadre spatio-temporel.
Le poncif de la "
menace venue d'ailleurs" est ultra-fréquent: sont souvent mentionnés, dans les légendes urbaines, des endroits vus comme dangereux et exotiques (Afrique tropicale, Amérique du Sud, Moyen Orient, Australie) ou qui suscitent la peur et le malaise (hôpitaux, prisons, lieux désaffectés, jungles, milieux souterrains...). Les indications temporelles, quand elles ne sont pas contemporaines, font elles aussi souvent référence à des époques qui nourrissent de nombreux fantasmes (Guerre Froide, Seconde Guerre Mondiale, Moyen-Age...).
Placer l'origine de l'élément anxiogène dans un contexte géographique (ou temporel) lointain a, en plus, l'avantage de jouer sur la méconnaissance de ces contrées pour se protéger du scepticisme de l'auditoire: comme le résume si bien le Pr. Summerlee dans Le Monde Perdu d'Arthur Conan Doyle, "toute affirmation concernant la Tamise peut être vérifiée facilement, ce qui n'est pas le cas de l'Amazone".


Enfin, la personne qui relaie une légende urbaine sera généralement bien embarrassée si on lui demande des détails ou des preuves, et ne pourra finalement donner que des sources vagues et/ou peu fiables. N'oublions pas cependant que le narrateur en question (sauf contexte particulier où le but explicite est juste de faire peur) est souvent de bonne foi, et raconte cette histoire parce que lui-même y a cru. Restez donc diplomate dans votre scepticisme, sans pour autant faire preuve de naïveté. En cas de doute, même très léger (ou même si vous n'avez aucun mal à croire ce qu'on est en train de vous raconter), vérifiez toujours, idéalement avec des sources académiques, en vous adressant à des spécialistes, ou sur des sites de fact-checking à la réputation bien établie (comme Snopes). 
Et n'oubliez pas: si ça sonne faux, ça l'est probablement; mais si ça a l'air vrai, ça peut très bien être faux quand même...



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*Évidemment, cette citation est bidon 



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