Spider Tales 15: La Dame en Noir

Embusquée sous un buisson, dans sa toile chargée des cadavres de ses proies, elle attend son heure, armée de son venin quinze fois plus toxique que celui d'un crotale. L'araignée la plus dangereuse du monde: Latrodectus, "celle qui mord en secret".
Sa morsure venimeuse n'est pas ressentie immédiatement, mais ses effets n'en seraient pas moins désastreux: quand elle ne donne pas la mort, elle pourrait transformer un jeune homme vigoureux en vieillard souffreteux. 

Pour éviter l'issue fatale, des remèdes aux allures de tourments ironiques d'Enfer médiéval: l'enfournement dans un four à pain allumé, ou l'ingestion forcée d'énormes quantités d'alcool fort. 

Vêtue de ténèbres, elle semble porter éternellement le deuil de ses victimes. Ses longues pattes recourbées figurent les doigts crochus d'une main noire, squelettique et avide.
Dans sa jeunesse, elle rehausse sa sombre parure de treize taches rouge vif, comme treize gouttes de sang.

Certaines de ses cousines s'ornent même d'un sablier rouge, comme un memento mori: "je me souviens que je suis éphémère, le temps est inarrêtable et la mort inéluctable".

Son habit de deuil est peut-être aussi pour son partenaire, disparu prématurément. Les rumeurs disent cependant qu'elle l'aurait assassiné sans ménagement sitôt sa descendance assurée. Messagère de la mort, la veuve noire serait aussi femme fatale et cannibale.


La mort, l'ennemie insidieuse que l'on ne sent pas venir, le temps qui passe et nous en rapproche imperceptiblement. La femme fatale, dangereuse, intimidante, férocement indépendante, mais ardemment désirée, au point de prendre le risque ultime.
Peu d'animaux, dans la culture occidentale, sont aussi nimbés de symbolisme sinistre que les splendides Latrodectus.
Par une étrange coïncidence, ces araignées se trouvent porteuses de nombreux traits dans lesquels nous voyons une signification macabre, et d'un venin actif sur les mammifères que nous sommes, qui peut causer des envenimations très graves. Un ensemble qui inspire une crainte presque superstitieuse...
Seraient-elles aussi célèbres et redoutées, si leur aspect était différent?
Au-delà des symboles, quelle est la part de réalité dans leur réputation?

1. Qui est "la" veuve noire? 

Latrodectus est un genre de la famille des Theridiidae, dont elles sont parmi les plus grandes représentantes (avec leurs proches cousines du genre Steatoda): la taille du corps des femelles adultes se situe entre 7 mm pour les plus petites femelles des plus petites espèces, et 17 mm pour les femelles de l'espèce sud-africaine Latrodectus umbukwane, la plus grande du genre. Les mâles, beaucoup plus petits, mesurent dans les 5 mm.
Actuellement, ce genre réunit 34 espèces valides, répandues dans le monde entier. Elles partagent toutes une allure assez similaire, avec de longues et fortes pattes recourbées, dépourvues d'épines, un abdomen très rond, plus haut que long, en forme de ballon, et un céphalothorax assez petit, avec huit petits yeux, et des pédipalpes très courts comme les chélicères.

Les yeux et les pièces buccales des Latrodectus sont très petits


La grande majorité de ces espèces ont un corps et des pattes de couleur noire ou noirâtre, avec un abdomen noir orné de motifs rouges et/ou blancs, plus ou moins étendus, dessus et dessous. Cependant, quelques espèces présentent une coloration différente. Latrodectus pallidus, la veuve blanche, que l'on retrouve en Afrique et en Asie occidentale et centrale, est roussâtre avec un abdomen blanc comme une boule de neige. Latrodectus bishopi, la "veuve rouge" de Floride, présente des pattes et un céphalothorax rouge brique, avec un abdomen noir à taches rouges. Latrodectus rhodesiensis, d'Afrique australe, Latrodectus obscurior de Madagascar et Latrodectus geometricus, que l'on retrouve dans toutes les régions tropicales et subtropicales, sont collectivement appelées "veuves brunes", mais toutes trois varient du presque blanc au noir de jais, en passant par toutes les nuances de brun, avec un sablier orange ou rouge sur le dessous de l'abdomen et souvent des taches orangées ou brunes sur le dessus.


Latrodectus geometricus, une des "veuves brunes", est susceptible d'être blanchâtre à noire, toujours avec un "sablier" sur la face ventrale de l'abdomen

Toutes les espèces de Latrodectus de couleur noire, comme Latrodectus hasselti, la "redback" d'Australie et d'Asie, Latrodectus menavodi de Madagascar ou Latrodectus tredecimguttatus, la malmignatte d'Europe, sont susceptibles d'être appelées "veuves noires".
Cependant, l'habitus iconique, entièrement noir de jais avec un sablier rouge sur la face ventrale de l'abdomen, ne se retrouve que chez certaines espèces, notamment les trois nord-américaines L.hesperus, L. variolus, et L. mactans.
Les espèces africaines (sauf les "veuves brunes") et européennes, comme Latrodectus tredecimguttatus et ses cousines, tendent à être dépourvues de ce motif ventral, remplacé par une tache irrégulière ou une paire de lignes rouges.
Parler de "la" veuve noire est donc une erreur: il faudrait dire "les" veuves noires, car ce nom commun peut en fait désigner une trentaine d'espèces noires du genre Latrodectus.

Le célèbre habit noir à marques rouges se retrouve chez de nombreuses espèces du genre Latrodectus (ici L. tredecimguttatus)

2. Portrait de la malmignatte

La "malmignatte" des Français, des Italiens et des Corses, qui la nomment aussi "a zinevra", la "karakurt" d'Europe de l'est, la "tchim" de la Volga, la "karadul" des Turcs, est une veuve noire européenne, Latrodectus tredecimguttatus.

Karakurt, karadul, u malmignattu, a zinevra, la malmignatte: Latrodectus tredecimguttatus est l'une des rares araignées d'Europe à avoir reçu des noms communs dans de nombreuses langues, et depuis très longtemps.

On retrouve cinq espèces de Latrodectus autour de la Méditerranée, mais la plupart sont confinées à ses rivages africains et asiatiques. L'Europe ne compte que deux espèces, Latrodectus lilianae, endémique des steppes sèches d'Espagne, et Latrodectus tredecimguttatus, beaucoup plus largement répandue. La répartition de cette dernière s'étend du Portugal à la Chine, incluant aussi le nord de l'Afrique: une distribution que l'on qualifie de paléarctique. Cependant, dans ce territoire énorme, on est loin de la trouver partout; loin s'en faut. Ses exigences sont particulières en termes d'habitat: c'est essentiellement un animal de steppe.
La malmignatte est thermophile, elle aime les milieux chauds, secs, ouverts et ensoleillés, plantés de buissons bas ou de cailloux sous lesquels elle aime s'établir: dunes, prairies, garrigues clairsemées, semi-déserts, arrière-plages.
En France continentale, elle est très rare, restreinte à seulement quelques localités précises. Elle semble d'ailleurs s'y être raréfiée: des écrits anciens (XIXe siècle) rapportent des cas de latrodectisme dans des régions comme les environs de Marseille, où cette araignée est aujourd'hui introuvable. Des mentions du début du XXe siècle rapportent sa présence en zone côtière dans l'Ouest, jusque dans le Morbihan, où elle n'a pas été revue depuis; une récente redécouverte d'une population en Gironde représente la première observation sur la façade atlantique en plus de 100 ans.
Sa rareté, et son déclin nettement observable, lui valent d'être actuellement classée "en danger" (EN) sur la liste rouge de l'UICN pour la France continentale.
Elle est nettement plus courante en Corse, où elle semble par ailleurs moins exigeante en termes d'habitats: elle y peuple les maquis, les plages, mais aussi parfois les jardins, ce qui rend les contacts avec l'Homme plus fréquents que sur le continent.

Si la malmignatte a reçu tant de fois la distinction d'un nom commun, c'est à cause de son importance médicale, mais aussi parce qu'elle est facile à reconnaître. Sa forme, ses proportions et ses couleurs sont caractéristiques. Il n'y a guère que ses cousines du genre Steatoda (et, dans quelques coins d'Espagne, la rare Latrodectus lilianae) qui peuvent lui ressembler, en particulier Steatoda paykulliana, qui peut elle aussi arborer une robe rouge et noire. Cependant, les femelles adultes de Steatoda spp. se distinguent de Latrodectus tredecimguttatus par leur silhouette plus trapue, leurs pattes proportionnellement plus courtes, leur abdomen plus allongé et légèrement aplati sur le dessus, et leur aspect très luisant, presque "verni", là où une femelle adulte L.tredecimguttatus présente un aspect satiné à mat.

Les femelles adultes de Steatoda paykulliana sont noires avec des motifs blancs, jaunes, orange ou rouges, ou entièrement noires. On peut les confondre avec la malmignatte, mais elles s'en distinguent par leur aspect "verni" et leur abdomen plus allongé et légèrement aplati
 

Les taches rouges en forme de gouttes, de cœurs et de triangles de la malmignatte, qui lui ont valu son nom latin (tredecimguttatus = orné de treize gouttes) permettent une reconnaissance aisée. Ce n'est cependant pas un critère aussi constant qu'on pourrait le croire. Les très jeunes individus ne sont pas ornés de taches rouges, mais blanches; ces taches se "remplissent" progressivement de rouge à mesure qu'ils grandissent. Les mâles conservent d'ailleurs ces taches blanches (rehaussées d'un peu de rouge) à l'âge adulte. C'est donc surtout chez les femelles subadultes et adultes que l'on retrouve ces taches rouges. Après plusieurs pontes, cependant, les motifs tendent à foncer et à ternir. Cela est dû à l'excrétion de la guanine, un pigment blanc stocké sous la peau de l'abdomen au niveau des taches rouges, qui souligne celles-ci; c'est peut-être pour économiser son énergie, après les pontes, que l'araignée excrète ces pigments.

A mesure que l'araignée vieillit et pond, les belles taches rouges de son abdomen foncent et perdent progressivement leur éclat

Les vieilles femelles peuvent même être entièrement noires, sauf quelques "fantômes" des taches, matérialisés par des restes de leurs contours blancs, et de discrètes marques rouges devant ou derrière les filières.

Certaines vieilles femelles peuvent devenir entièrement noires, excepté quelques taches résiduelles à l'avant de l'abdomen et au niveau des filières


A noter aussi que l'étendue, le nombre et la forme des taches, et la propension de l'araignée à les perdre avec l'âge varient d'un individu et d'une population à l'autre. Certaines portent des marques si étendues qu'elles forment de larges bandes rouges sur les côtés de l'abdomen, d'autres au contraire peuvent être entièrement noires. Des variations telles qu'elles ont, à certains moments, été considérées comme des sous-espèces, voire des espèces à part entière, par exemple nommées Latrodectus lugubris, Latrodectus 5-guttattus ou Latrodectus erebus. Ces formes peuvent toutefois être mélangées avec d'autres au sein d'une même population, et avec de nombreuses variantes intermédiaires; ces distinctions ne sont donc plus considérées, actuellement, comme valides.

Plus que par ses taches, un bon moyen de reconnaître une femelle adulte de Latrodectus tredecimguttatus est de voir ses pontes. Comme toutes les araignées, la malmignatte enveloppe ses œufs dans des cocons de soie. Ceux-ci sont aussi gros, voire plus, que l'araignée elle-même (8-17 mm), en forme de montgolfière couchée, de couleur blanc crème, avec une surface lisse et coriace comme du parchemin. Quand ils sont présents sur la toile, ils éliminent donc tout risque de confusion avec les Steatoda dont les cocons, floconneux comme des boules de coton, sont très différents.


Blanc crème, lisses, parcheminés, en forme de ballons, un peu plus gros que le corps de l'araignée: les cocons ovigères de Latrodectus tredecimguttatus sont faciles à reconnaître


Très solides, ces cocons subsistent longtemps après l'émergence de la centaine de petits qu'ils peuvent contenir. Pondus en fin d'été ou en début d'automne, ceux-ci vont éclore sept semaines plus tard, mais  resteront à l'intérieur et n'émergeront qu'au printemps.
Évidemment, avec une centaine d’œufs par cocon, et jusqu'à cinq ou six cocons par femelle, l'idée d'une "horrible invasion" a tôt fait de germer dans la tête d'une personne arachnophobe qui lirait ces lignes. Il faut cependant garder à l'esprit que leur taux de survie est très faible: en élevage, à peine 50% des petits s'avèrent viables sur le long terme. Dans la nature, exposés aux éléments et aux prédateurs, à commencer par leurs propres frères et sœurs qui deviennent férocement territoriaux dès la première séparation, c'est bien sûr beaucoup moins. Si les araignées se reproduisent autant, c'est bien parce que même les veuves noires sont des animaux très vulnérables, et que cette nombreuse descendance ne fait qu'assurer la survie de l'espèce. 

Leur mère monte la garde parmi ses cocons, suspendus dans sa retraite comme de gros lampions. Cependant, même si elle peut vivre deux ans, son cycle est généralement annuel; elle va donc mourir avant d'avoir pu les voir éclore. Elle peut toutefois partir l'esprit tranquille: c'est l'une des rares araignées à produire des œufs toxiques, ce qui découragera la plupart des prédateurs (les petits, en revanche, perdent cette toxicité après les premiers stades de leur vie, et sont donc vulnérables).
En règle générale, les bébés malmignattes ne rencontrent donc jamais leur mère. Leur père non plus, d'ailleurs. 

Concernant leurs pères, la mort prématurée des mâles (qui sont nettement plus petits que les femelles) n'est pas toujours causée par leurs féroces partenaires. La réputation de femme fatale de la veuve noire est exagérée: "seulement" 45% des accouplements se terminent par un acte de cannibalisme sexuel. De plus, cela ne la distingue pas vraiment des autres araignées, chez lesquelles ce comportement est assez répandu...
Contrairement à d'autres espèces comme Latrodectus geometricus ou L. hasselti, chez qui le mâle se jette littéralement sur les pièces buccales de sa partenaire pendant l'accouplement, chez L. tredecimguttatus, c'est la femelle qui initie le cannibalisme, quand il survient.
Le mâle dispose d'ailleurs d'une palette de comportements diminuant ses chances de finir en casse-croûte post-coïtal, comme de secouer vigoureusement la toile, déposer de la soie pleine de phéromones sur celle-ci, et, après le contact initial, de ligoter sa partenaire pour l'accouplement. Ces rituels viseraient non seulement à bien se démarquer des mouvements d'une proie pour éviter de stimuler l'appétit de madame, mais aussi à la rendre plus réceptive en l'inondant de phéromones.
Malgré le risque, les prétendants se bousculent au portillon, au point de devoir se battre entre eux pour pouvoir lui faire la cour. Les mâles de grande taille (de taille plus proche de celle des femelles, donc) ont plus de chances de sortir vainqueurs de ces combats, mais aussi plus de risques d'être dévorés lors de la copulation. Les plus petits, eux, sont désavantagés dans la compétition entre mâles, mais survivent plus souvent aux accouplements, pouvant donc tenter leur chance avec plus de femelles.
Afin de diminuer la compétition, le mâle se livre également à la destruction partielle de la toile de sa partenaire, pour la rendre moins attirante. En effet, la soie des femelles adultes est imprégnée de phéromones qui attirent les mâles de loin; réduire la surface de cette toile réduit donc son attractivité.

"Diffuseur de phéromones" n'est bien sûr qu'une des nombreuses fonctions de ce véritable couteau suisse qu'est la toile de la malmignatte. A première vue, cette grande toile tissée près du sol ressemble à un fouillis désorganisé de fils dont la solidité ne manque pas d'étonner. Pourtant, en y regardant de plus près, on s'aperçoit que cet aspect désordonné cache en fait une architecture d'une remarquable complexité.

A première vue, la toile de Latrodectus tredecimguttatus semble n'être qu'un fouillis désordonné de fils très solides


Le cœur de cette toile est une large retraite tubulaire, à peu près de la taille d'un œuf de poule, profondément enfoncée dans un abri naturel, comme la base d'un buisson dense ou une cavité du sol. C'est dans cette loge que l'araignée se repose, qu'elle se retire en cas de danger, et qu'elle suspend ses pontes. La malmignatte n'est pas une ménagère très scrupuleuse: cette retraite est généralement encombrée de toutes sortes de restes de proies et de débris, qu'elle intègre plus ou moins à ses parois. Ceux-ci camouflent, renforcent et assombrissent la loge; cette araignée est sciaphile, elle fuit la lumière vive et a besoin d'une cachette sombre. 

La malmignatte inclut toutes sortes de matériaux dans les parois de soie de sa retraite, comme de petits cailloux, des feuilles mortes, des brindilles et des restes de proies


L'entrée de la loge s'ouvre ensuite sur une toile dont la forme et l'étendue varient en fonction du terrain environnant. Elle est formée d'une à trois nappes reliées entre elles, constituées de réseaux de fils non collants aux mailles irrégulières, tissées au-dessus du sol et ancrées aux éléments environnants, formant comme une sorte d'auvent devant la retraite. Elles constituent l'échafaudage que la veuve utilise pour se déplacer sur son piège.
Celles-ci sont surmontées d'un fouillis de fils très solides, non collants, accrochés à la végétation alentour, qui protègent la toile en gênant l'accès aux prédateurs et en signalant sa présence aux herbivores qui pourraient la détruire accidentellement; ces fils peuvent également faire tomber des insectes volants dans les parties inférieures du piège.
Si l'espace est dégagé, la toile peut s'étendre sur plus de cinquante centimètres de largeur, mais peut être très petite si le milieu est encombré.
Les nappes sont reliées au sol par des fils verticaux, qui forment un piège d'une fascinante ingéniosité, ciblant les proies terrestres. Très solides et élastiques, ces fils sont ancrés au sol par une attache qui est, elle, assez fragile et cassante. L'extrémité de ces fils, sur les 5 à 20 mm les plus proches du sol, est couverte de grosses gouttelettes de glu très collantes. Quand un animal passe au niveau du sol et touche la base d'un ou plusieurs de ces fils, il se retrouve englué sur les gouttelettes. Dans le même temps, ses mouvements cassent l'attache, et le fil, élastique, se contracte, tirant la proie vers le haut... Où attend l'araignée. Celle-ci n'a ensuite plus qu'à emmailloter et envenimer sa victime.

Ce redoutable piège lui permet de capturer un large éventail de proies: fourmis, coléoptères, guêpes, criquets, scorpions, autres araignées, myriapodes, et même des vertébrés comme des lézards ou de très jeunes serpents!
Son venin à large spectre, constitué à la fois de toxines efficaces sur les Arthropodes et sur les Vertébrés, lui permet de mettre à son menu toutes sortes de petits animaux.


3. Un venin redoutable...

Il est vrai que les Latrodectus, toutes espèces confondues, sont parmi les rares araignées médicalement importantes de la planète. Leur venin contient des toxines très actives sur les Arthropodes, mais aussi, fait rare chez les  araignées, sur les Vertébrés. Ce redoutable venin n'a pas évolué comme une arme défensive, mais pour la chasse: ces araignées sont régulièrement observées en train de capturer et manger de petits Vertébrés, bien plus souvent que ne le font les plus grosses mygales. En plus des insectes et autres arthropodes, lézards, grenouilles, serpents, musaraignes et souris figurent à leur menu; une Latrodectus geometricus a même été observée en train de se nourrir d'un jeune rat d'une vingtaine de grammes, un exploit pour ce prédateur quarante fois plus petit que sa proie!
La soie extrêmement solide de leurs toiles est assez résistante pour piéger ces animaux, et leur venin leur permet de les neutraliser sans difficulté. La morsure d'une Latrodectus mactans ou d'une L. tredecimguttatus peut achever une souris en une vingtaine de minutes.

Leur soie très solide, et leur venin, permet aux Latrodectus spp. de chasser des insectes plus gros qu'elles, mais aussi de petits vertébrés, y compris des souris

On lit et entend très souvent que ce venin serait quinze fois plus toxique que celui d'un crotale. Effrayante, cette affirmation est en fait dénuée de sens.
Ce factoid est basé sur des comparaisons de LD50, des données qui, hors d'un contexte expérimental particulier, n'ont que peu de valeur: les résultats de ces mesures sont extrêmement sensibles à de nombreux paramètres, notamment la souche animale testée et la méthode d'injection de la substance toxique (intraveineuse, intramusculaire, sous-cutanée, intrapéritonéale...).
En fait, on peut aussi facilement trouver des mesures qui vont dans ce sens (0.9 mg/kg pour Latrodectus sp. contre 15 mg/kg pour le venin de Crotalus pusillus en injection sous-cutanée sur souris) que le contraire (0.9 mg/kg pour Latrodectus sp. contre 0.05 mg/kg pour le venin de Crotalus tigris en injection intrapéritonéale sur souris).

"Quinze fois plus toxique que le venin d'un crotale"... Tout dépend de l'espèce de crotale (ici C. atrox) et de la méthode d'injection.

De plus, les doses de venin que ces animaux peuvent administrer sont sans commune mesure: Une Latrodectus sp. qui mord injecte 5 à 10 µg de venin, tandis qu'un crotale diamantin de l'Ouest (Crotalus atrox) peut infliger une morsure chargée de près de 1000 mg de venin... C'est un peu comme comparer l'impact d'une bille d'acier de quelques dixièmes de gramme et celui d'une pastèque de 10kg lancées à la même vitesse: la bille est peut-être plus dense et dure que la pastèque, mais cette dernière fera toujours plus de dégâts, à cause de sa simple masse. Comparer la létalité de leurs venins n'apporte donc aucune information sur les effets réels d'une morsure.
Enfin, il faut comprendre que quand on compare le venin d'un crotale et celui d'une veuve noire, on compare en fait deux choses qui n'ont rien à voir: ces substances sont complètement différentes dans leur chimie et leurs effets. Le venin de Crotalus atrox, comme celui de la plupart des autres crotales, est un cocktail de toxines aux effets cytotoxiques, hémotoxiques et neurotoxiques: il cause à la fois, entre autres, la nécrose des tissus cellulaires, des coagulopathies, ainsi que des symptômes affectant le système nerveux. 

Celui des Latrodectus, en revanche, est purement neurotoxique sur les mammifères. La principale toxine active sur ces derniers, l'α-latrotoxine, provoque la libération massive des principaux neurotransmetteurs au niveau des synapses, puis, en conséquence, une déplétion totale des vésicules des synapses atteintes, qui ne peuvent plus assurer correctement leur rôle de transmission nerveuse.
Sur l'humain, ces effets causent des symptômes systémiques assez reconnaissables. Dans leur présentation, ceux-ci varient peu d'une espèce à l'autre, mais il a été remarqué que les envenimations par les "veuves brunes" (L.geometricus,L. rhodesiensis, L. obscurior) et par Latrodectus pallidus sont en moyenne de gravité moindre par rapport à celles causées par les "veuves noires" (comme Latrodectus indistinctus, L.mactans, L.hasselti ou L. tredecimguttatus). Bien entendu, pour une même espèce de veuve noire, la gravité des symptômes, d'une morsure à l'autre, pourra aussi beaucoup varier, notamment en fonction de la dose de venin administrée par l'araignée, de la constitution de la personne mordue, de sa sensibilité et de ses antécédents médicaux.

Latrodectus geometricus est connue pour causer, sur l'humain, des envenimations en moyenne moins sérieuses que la plupart de ses cousines, qui ne constituent que très rarement une urgence médicale


On observe généralement un délai entre le moment de la morsure et l'apparition des premiers symptômes: c'est la phase initiale, qui dure en moyenne une demi-heure. La morsure elle-même est souvent peu douloureuse. Cependant, malgré une idée largement répandue, celle-ci ne passe que rarement inaperçue; la plupart du temps, elle est ressentie, bien que plutôt discrète. Cette phase initiale peut amener le patient envenimé à croire à une morsure sèche (sans injection de venin, ce qui n'est, en soi, pas rare). Cependant, une fois les premiers signes cliniques apparus, le syndrome d'envenimation devient très reconnaissable; à tel point, en fait, que le latrodectisme (syndrome d'envenimation par Latrodectus) est l'un des seuls types d'aranéisme où l'observation de l'araignée en train de mordre n'est pas forcément nécessaire pour établir le diagnostic.

Le plus fréquent des symptômes du latrodectisme est une douleur, souvent intense, parfois extrême. Cette douleur, locale dans la première heure qui suit la morsure, peut ensuite (dans environ 80% des cas avec L. tredecimguttatus) s'étendre à l'ensemble du corps, ou à des zones éloignées de la partie mordue. C'est le plus souvent au niveau des lombaires et des membres inférieurs qu'elle est localisée. Un peu comme celle des piqûres de scorpions, elle se présente souvent par vagues intermittentes, entrecoupées d'accalmies. On remarque que le patient guérit quand ces "vagues" deviennent de moins en moins intenses et de plus en plus espacées.
Une caractéristique notable de cette douleur est d'être particulièrement difficile à calmer à l'aide d'antalgiques traditionnels; les opioïdes sont parfois utilisés, avec un succès mitigé. L'usage du gluconate de calcium comme myorelaxant est très répandu, mais certaines études remettent en cause son efficacité. Les benzodiazépines peuvent donner de bons résultats dans certains cas. Le seul traitement démontré comme capable de faire disparaître la douleur en un temps bref dans 100% des cas où il a été administré est le sérum antivenimeux; cependant, en raison des risques associés à son utilisation (voir plus loin), le recours à celui-ci est souvent évité ou réservé aux cas les plus graves. 

En plus des douleurs dans les lombaires et les membres, le corps est atteint de contractures musculaires douloureuses, notamment au niveau de l'abdomen; elle donnent à celui-ci une rigidité caractéristique, similaire à un "ventre de bois". Ce symptôme est très fréquent (d'une étude à l'autre, la proportion de patients le présentant varie de 44 à 86%).

Un autre trait diagnostique du latrodectisme est un cortège de symptômes observables sur le visage du patient, dont l'ensemble forme ce que l'on appelle le "faciès latrodectismica": l'ensemble du visage est congestionné, couvert d'une sueur perlée, les mâchoires sont serrées et il est difficile d'ouvrir la bouche (trismus des masséters). Au niveau des yeux, on peut fréquemment observer une conjonctivite, et plus rarement un regard fixe et/ou une dilatation importante des pupilles. D'autres signes plus rares peuvent également être de la partie, comme la chéilite (inflammation des lèvres) ou la rhinite. Tous ces symptômes ne surviennent pas forcément, mais au moins deux des trois premiers sont généralement observés.

La transpiration abondante et anormale, que l'on voit sur le facies latrodectismica, ne survient pas qu'au niveau du visage; le phénomène touche tout le corps. Il s'agit de l'un des symptômes les plus communs et les plus caractéristiques du tableau clinique du latrodectisme.

Une étude prospective sur 32 patients mordus par Latrodectus tredecimguttatus en Croatie mentionne, dans 100% des cas inclus, une sensation de brûlure sur la plante des pieds; curieusement, aucune autre étude consultée ne mentionne ce symptôme. 

Les signes cardiovasculaires sont également fréquents: la tachycardie est courante, l'hypertension l'est moins mais reste significative. Dans l'immense majorité des cas, les atteintes cardiovasculaires restent bénignes.

Plus rarement, apparaissent aussi d'autres symptômes systémiques comme des migraines, de la dyspnée, des frissons, des nausées, de la fièvre, des vomissements, et des diarrhées; chez les hommes, un priapisme a été observé dans de très rares cas. 

Au niveau de la zone mordue, les signes cutanés sont discrets et sans grande importance: une petite papule entourée d'un léger érythème. Etrangement, une étude mentionne (sans les décrire en détail) 6 cas de "nécrose modérée apparue au point de morsure" (tout en précisant que les signes locaux sont discrets). Cette observation insolite ne trouve pas d'écho dans les autres études sur les morsures de Latrodectus tredecimguttatus, ni, d'ailleurs, sur les autres espèces du genre. Comme le venin des veuves noires ne présente pas d'effet cytotoxique, il est possible que ces cas étonnants soient dus au phénomène de nécroptose: une réaction du système immunitaire qui, pour se défendre contre une agression (comme une envenimation) provoque une nécrose locale, de faible ampleur, sur la zone mordue. Cette réponse immunitaire peu courante peut théoriquement se produire en réponse à n'importe quel venin. Cela n'explique cependant pas pourquoi ce phénomène, observé plusieurs fois dans une même étude, n'a été relaté dans aucune autre, y compris sur la même espèce, dans la même région.

La durée des symptômes peut aller de quelques heures à un maximum d'environ quatorze jours. Cependant, dans l'immense majorité des cas, ils durent moins de six jours, avec une moyenne de deux à trois jours. Des séquelles, comme une asthénie (fatigue anormale), des migraines, des douleurs résiduelles ou des paresthésies (picotements, fourmillements) peuvent cependant persister jusqu'à un mois après disparition des symptômes à proprement parler. 

Les envenimations par les veuves noires s'accompagnent également d'un signe clinique assez rare, mais tout de même suffisamment typique et insolite pour avoir été remarqué par de nombreux auteurs: un état pseudopsychiatrique anxieux, avec une agitation importante et une angoisse de mort, voire des hallucinations visuelles. Ainsi, le patient mordu par une veuve noire peut être persuadé qu'il va mourir; pourtant, même sans traitement particulier, il a en fait plus de 95% de chances de survivre à sa mésaventure. Avec une prise en charge appropriée, ses chances montent même à 99,8%.

Ne nous y trompons pas: une envenimation par une Latrodectus est souvent une expérience éprouvante pour le corps, parfois atrocement douloureuse, incapacitante pendant plusieurs jours et pouvant causer des séquelles gênantes pendant plusieurs semaines. Cependant, elle n'est presque jamais mortelle. Cela vaut aussi bien pour la malmignatte d'Europe que pour les autres espèces de Latrodectus, y compris les veuves noires d'Amérique du Nord et la "redback" australienne.

Si les chances de survie des patients mordus sont aussi élevées, ce n'est pas "grâce aux miracles de la médecine moderne"; celle-ci se cantonne, la plupart du temps, à traiter les symptômes à mesure qu'ils se présentent, essayer d'endiguer la douleur et surveiller l'apparition d'éventuelles complications. La plupart des traitements utilisés n'ont qu'une efficacité limitée et controversée; ils ne visent qu'à rendre l'expérience plus supportable jusqu'à ce que le patient guérisse de lui-même. D'ailleurs, au XIXe siècle, le docteur Cauro, d'Ajaccio, notait déjà que la morsure de cette araignée n'était presque jamais mortelle, même sans traitement spécial.

Le sérum antivenimeux est très efficace et raccourcit nettement la durée moyenne du syndrome. En Australie, sa mise sur le marché a fait tomber la proportion de décès du latrodectisme à 0% (contre 5 à 6% avant utilisation de celui-ci). Pourtant, ailleurs dans le monde, il n'est que rarement employé. Outre les problèmes de disponibilité et les fréquentes interruptions de sa production (particulièrement en Europe), son usage est aussi souvent évité du fait des risques de réactions adverses. Contrairement au venin de l'araignée, les sérums antivenimeux sont assez allergènes, et des cas de choc anaphylactique sont connus, de même que des cas de maladie sérique (un syndrome d'hypersensibilité dû au système immunitaire qui réagit à l'introduction de sérum étranger dans le système sanguin). Bien que les effets indésirables soient rares, l'antivenin reste une "thérapie de choc". Les envenimations très graves, où le pronostic vital du patient est engagé, ne sont en fait pas beaucoup plus nombreuses que les réactions aigües au sérum antivenimeux. C'est la raison pour laquelle il n'est généralement recommandé que pour les cas les plus graves, et/ou les patients présentant des risques de complications: les sujets très jeunes (bien que de nombreux auteurs doutent de la supposition d'une sensibilité accrue chez les enfants), âgés, et surtout ceux qui présentent des antécédents cardiovasculaires
Certains
considèrent tout de même cette restriction comme excessive, arguant que la neutralisation du venin et de ses effets, notamment la douleur, là où les autres thérapeutiques restent moins efficaces, justifie tout de même son usage dans les cas moins graves. Cette approche est surtout répandue en Australie et en Afrique australe, où le recours à la sérothérapie est bien plus fréquent qu'en Amérique et en Europe. 

Malgré l'abondante littérature sur le sujet et les nombreux cas de morsure enregistrés, les cas de latrodectisme aigu (pronostic vital engagé) sont extrêmement rares. Il n'existe qu'une poignée de cas rapportés d'envenimations humaines fatales ou aigües par Latrodectus tredecimguttatus (et encore moins pour les autres espèces). Dans tous les cas publiés, la cause de la mort (ou du danger de mort) était l'apparition de complications cardiaques graves, avec une myocardite aigüe, voire une nécrose du myocarde. Les mécanismes exacts, et surtout les raisons, pour lesquelles ces complications surviennent sont mal connus, mais ont probablement un lien avec la libération massive et soudaine de neurotransmetteurs induite par le venin. Dans tous les cas décrits, l'atteinte cardiaque s'est présentée assez vite, entre 4 et 16 heures après la morsure. Excepté un patient qui présentait une malformation cardiaque identifiée, les autres étaient des personnes jeunes, en bonne santé et sans antécédents cardiovasculaires connus; l'absence apparente d'antécédent commun à ces cas, et leur extrême rareté, rend difficile toute conclusion par rapport à une éventuelle prédisposition. 

 

4. Une réputation très exagérée

Bien que mystérieux et difficiles à anticiper, les cas de latrodectisme aigu ne représentent donc qu'une proportion infime des envenimations, et les décès sont absolument exceptionnels: dans les années 1960, Bettini rapportait un taux de deux décès pour 946 cas. Si rares, en fait, que la plupart des études prospectives sur le latrodectisme en Europe n'en incluent tout simplement aucun. De plus, la mise au point du sérum antivenimeux, si elle a probablement contribué à sauver quelques vies, ne change pas profondément le tableau comme elle l'a fait pour d'autres animaux venimeux; d'ailleurs, son indisponibilité régulière ne cause pas d'augmentation significative du nombre de cas graves.

Les veuves noires, comme toutes les araignées, cherchent à limiter au maximum l'utilisation défensive de leur venin. Celui-ci est une ressource énergétiquement coûteuse, que les araignées destinent avant tout à la chasse. Ces araignées sont en fait des animaux placides, qui, agressés, vont d'abord chercher à éviter la confrontation par la fuite ou l'immobilité, en se mettant "en boule" pour être moins vulnérables. Si la fuite échoue, la veuve va ensuite chercher à se défendre en projetant de la soie collante sur l'assaillant pour gêner ses mouvements; en revanche, elle ne mordra qu'en tout dernier recours. Cela fait sens: les veuves noires ont des pièces buccales très petites et des crochets minuscules; mordre l'assaillant implique donc de s'en approcher de très près. En plus d'un gaspillage de précieux venin, c'est une prise de risque non négligeable pour l'araignée!

Les chélicères des veuves noires sont très petites par rapport à leur corps: mordre un assaillant nécessite donc de s'en approcher dangereusement près!

Une étude étonnante sur les réponses défensives de la veuve noire américaine Latrodectus hesperus, où les araignées étaient titillées à divers degrés à l'aide de "doigts" en gélatine, a montré que celles-ci évitaient de mordre, même en étant poussées avec insistance par le "doigt"! Ce n'est que lorsque qu'elles se retrouvaient pincées entre deux "doigts" que les veuves noires se mettaient à mordre... La quantité de venin injectée lors de la morsure dépendait également du degré de menace: pincées au niveau du corps (et non des pattes) pendant longtemps, elles avaient tendance à en injecter plus à chaque morsure. De plus, quand elles mordaient, les araignées avaient également tendance à infliger des morsures sèches (sans venin) comme avertissement, avant de passer à une injection de venin.
Évidemment, l'extrapolation se doit d'être prudente; une telle étude n'a jamais été effectuée sur Latrodectus tredecimguttatus, qui, étant une espèce différente, n'a peut-être pas des comportements défensifs rigoureusement identiques.
Cependant, les observations sur le terrain montrent que, dans les grandes lignes, la tendance est la même: comme sa cousine américaine, la malmignatte est une araignée placide, qui n'"attaque" pas et ne cherche pas à mordre, même titillée. Bien sûr, si toucher l'araignée a peu de chances de susciter une réaction agressive, toucher sa toile encore moins, même quand elle a des œufs à protéger. En revanche, la présence de pontes la rend moins susceptible de fuir son abri en cas de dérangement: elle restera parmi les cocons et campera sur ses positions.

La malmignatte est une araignée placide, qui ne réagit pas avec agressivité quand on touche sa toile, même quand elle a des pontes à protéger (ce qui n'est pas une raison pour chercher à imiter ce que montre cette photo*)

Les accidents se produisent quand une malmignatte se retrouve pressée contre la peau par inadvertance, par exemple en posant la main dessus sans la voir, en s'asseyant sur une pierre ou un buisson où elle a élu domicile, en marchant dessus pieds nus ou encore si l'araignée, dérangée dans sa retraite, vous grimpe dessus dans sa fuite, et se retrouve piégée entre un vêtement et la peau. Les risques peuvent être fortement réduits si l'on fait preuve de prudence, par exemple en évitant de marcher pieds nus dans la végétation, de s'asseoir sur un buisson ou une touffe d'herbes, ou de poser sa serviette de plage sur des débris ou des plantes côtieres, quand on se trouve dans une zone où la malmignatte est présente.
Dans l'essentiel de son aire de répartition, cette araignée préfère vivre loin des humains et de leurs habitations. Toutefois, dans certaines zones comme la Corse, il arrive qu'elle fréquente les jardins; dans ces zones à risque accru, surveiller le mobilier de jardin avant de l'utiliser, et éviter d'y laisser trainer des jouets ou autres objets pendant plus de quelques jours (histoire qu'une malmignatte n'aille pas y tisser sa toile), peuvent être des précautions utiles.

Les accidents impliquant des malmignattes surviennent quand l'araignée se retrouve pressée contre la peau, par exemple en posant la main dessus par inadvertance*

Aujourd'hui, les accidents sont rares: entre 0 et 5 cas enregistrés par an environ sur le territoire français, Corse (où se produisent la majorité des morsures) comprise. Cependant, dans un passé pas si lointain, le travail aux champs se faisait largement à la main, ce qui augmentait considérablement les risques de contact accidentel avec l'araignée. Dans les années 1960, en Italie, la grande majorité (70%) des personnes mordues étaient des travailleurs agricoles. Plus récemment, une situation similaire a été observée en Espagne, en particulier chez les ramasseurs de fruits dans les serres.
Historiquement, les moissons étaient la période où le plus de cas de morsures étaient observés. Dans le passé rural du sud de l'Europe, les rencontres conflictuelles avec cette araignée étaient donc plus nombreuses qu'aujourd'hui. Ces accidents plus fréquents accentuaient sans doute la crainte de la veuve noire.

Ceci dit, l'image de tueuse que ces morsures lui ont valu n'était en fait pas (entièrement) de sa faute. La raison la plus probable pour laquelle la malmignatte a acquis cette image d'animal très dangereux, à la morsure souvent mortelle, malgré l'extrême rareté des décès (un fait connu depuis 200 ans!) viendrait en fait plutôt des "remèdes" traditionnellement utilisés.
Dès 1833, Cauro constate, en Corse, l'emploi de "traitements de choc", dont il remet en question l'efficacité, et souligne la dangerosité: on préconisait alors, pour les mordus, l'enfournement dans un four à pain allumé afin de réchauffer le patient et de lui faire suer le venin, ou l'ingestion forcée de grandes quantités d'eau-de-vie ou de vin. Il remarquait que ces "remèdes" avaient souvent pour effet de tuer le patient, tandis que ceux qui n'étaient pas "traités" ainsi ne mouraient pas!
Ces "remèdes" pires que le mal ont sans doute fortement contribué à exagérer la réputation de la malmignatte: quand le patient mourait du traitement, on blâmait le venin; quand il survivait malgré celui-ci, c'est à lui que l'on attribuait la guérison.

Les légendes qui l'entourent ne doivent donc pas vous tromper: même si la malmignatte est dotée d'un venin redoutable, qui peut tout à fait vous faire passer une horrible journée, voire la pire semaine de votre vie, elle ne vous tuera pas, à moins que vous ne souffriez d'une malchance extraordinaire. De plus, comme toutes les araignées, elle n'a aucune envie de gaspiller son précieux venin sur un humain. Tant que vous ne la touchez pas, vous n'avez rien à craindre de la dame en noir.


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Je suis l'auteur des images illustrant cet article, qui ne sont pas libres de droit.

*Les images montrant des veuves noires près de mains nues ne doivent pas inciter de tentatives d'imitation. Je suis un professionnel, habitué à travailler avec des Arachnides et autres animaux venimeux, avec des années d'expérience et une connaissance approfondie de leur comportement et langage corporel. Même si la malmignatte est beaucoup plus calme et passive que bon nombre d'autres araignées, un animal sauvage peut toujours se comporter de manière imprévisible. Ce n'est pas une espèce qui doit être manipulée à mains nues (il n'y a d'ailleurs eu aucune manipulation à mains nues ici). Si improbable soit-il, un accident évitable ne l'est jamais autant que lorsqu'on ne prend pas de risques inutiles. Les araignées sont de toute façon des animaux fragiles, qu'il est déconseillé de manipuler, autant pour leur propre sécurité que, dans ce cas spécifique, la vôtre.

Commentaires

  1. Merci beaucoup pour ce condensé de savoir sur une espèce qui en avait particulièrement besoin.Très pratique pour de futures conversations autour des mythiques veuves noires.

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  2. Superbe article complet

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