Un scorpion dans la maison!

Le crépuscule sur une vallée rocailleuse de l'Atlas. Au soleil ardent du jour succède une nuit encore pâle. Timidement, les premières étoiles illuminent le ciel. A la faveur de la douce fraîcheur du soir, véritable soulagement après l'écrasante chaleur du jour, les bêtes nocturnes quittent leurs cachettes. Parmi les rochers, un prédateur est en chasse. Rampant sur le sol, escaladant la roche avec toute la vélocité de ses huit fortes pattes, cuirassé, biscornu, il semble l'incarnation même de cet environnement hostile. 
Soudain, alerté par une imperceptible vibration, il se fige, dressé sur une pierre comme une chimère grotesque. Prêt à frapper, il ouvre ses puissantes pinces et recourbe sa queue au-dessus de son corps. A la pointe de son dard acéré perle une goutte de venin mortel...

C'est sans doute une image de ce genre qui vous vient en entendant le mot "scorpion". Peu d'animaux sont aussi évocateurs d'exotisme et de danger. Les scorpions sont craints, et, contrairement aux araignées, à juste titre: ils sont tout de même responsables de la mort de plus de 3000 personnes annuellement dans le monde.
Heureusement, pour la majorité des européens, cette menace ne paraît pas proche; le mot "scorpion" évoque plutôt des étendues désertiques et lointaines que le coin de la cuisine, derrière le frigo.
Aussi, quand un scorpion noir pointe le bout de ses pinces dans un appartement de France métropolitaine, il produit en général son petit effet.

Un scorpion noir Euscorpius sp.

Des scorpions en France?

Eh oui! On trouve des scorpions quasiment dans le monde entier, entre 50° de latitude nord et sud. On en trouve donc dans des régions aussi septentrionales que le sud du Canada, la Mongolie ou le nord du Japon. La France ne fait pas exception, avec trois genres représentés en métropole, qui incluent sept espèces selon l'INPN: trois espèces de grands scorpions jaunes du genre Buthus (dont deux très localisées et une troisième, Buthus occitanus, plus répandue), le rare Belisarius xambeui, un troglophile sans yeux, endémique des Pyrénées, et les différentes espèces du genre Euscorpius*. Ce sont ces derniers* dont il est question ici, les petits scorpions noirs que l'on rencontre parfois dans les habitations.

Buthus occitanus, un autre scorpion français, beaucoup plus grand et plus rare (attention: sa piqûre peut être dangereuse)

Description, Taxonomie

La taille adulte des Euscorpius* se situe entre 3 et 5 cm. Le corps est trapu et aplati (sauf s'il a fait un bon repas ou s'il s'agit d'une femelle qui va donner naissance), l'exosquelette est lisse et luisant, généralement brun sombre à noir, parfois brun plus clair.
La caractéristique la plus frappante de ces scorpions est la taille des pédipalpes (les pinces), énormes proportionnellement à l'animal, et très robustes. 
Les huit pattes sont fortes et trapues, de couleur jaune pâle à brune.
Le métasome (queue) est grêle, avec un telson (dard ) de petite taille, de la même couleur que les pattes.

Euscorpius cf. flavicaudis*. Noter la taille des pinces et la couleur des pattes et du telson.

Comme chez beaucoup de scorpions, l'identification des différentes espèces du genre Euscorpius* est compliquée, et se fait sur la répartition des trichobothries (soies sensorielles). Il est communément admis que la faune française (continentale) compte trois espèces: Euscorpius flavicaudis*, E. italicus, et E. niciensis. Néanmoins, les remaniements taxinomiques sont très fréquents. Il est donc imprudent, et souvent impossible, d'identifier à l'espèce un Euscorpius sur la base d'une simple photo, d'autant que la coloration et la taille, si elles diffèrent d'une espèce à l'autre, ne sont pas des caractères complètement fiables, et se recoupent entre espèces. Les spécimens des deux premières photos appartiennent, semble-t-il, à deux espèces différentes, mais ne peuvent être formellement identifiés avec certitude. Il est toutefois probable que le deuxième, au vu de sa grande taille, de ses extrémités très pâles, et de son aspect très typique de l'espèce, soit un E. flavicaudis (d'où le cf. qui indique une incertitude).

Habitats et comportement  

Les Euscorpius sp. sont des animaux sciaphiles, qui aiment les habitats ombragés, humides et riches en cachettes. Dans les habitats non anthropiques, on les trouve fréquemment sous les pierres, les vieux troncs et dans les fissures des souches pourrissantes, dans les pinèdes et les vallons. Contrairement au scorpion jaune, ils préfèrent les environnement plutôt fermés, mais sont très euryèces.

C'est très souvent sous les pierres que l'on trouve les Euscorpius* spp. dans la nature


S'accommodant particulièrement bien de la présence humaine, ils aiment les jardins et l'extérieur des habitations, les vieux murs crevassés leur fournissant un habitat qu'ils apprécient; on les rencontre même jusqu'au cœur des grandes villes comme Marseille. Il n'est donc pas rare qu'ils pénètrent à l'intérieur des habitations, même des appartements en immeubles.
Nocturnes, ils restent cachés en journée, et sortent chasser à la faveur de l'obscurité. Ils capturent en maraude des insectes, araignées et autres arthropodes, y compris des proies cuirassées et d'assez grande taille. Utilisant surtout leurs pinces pour maîtriser et tuer leurs proies, ils ne la piquent pas systématiquement, mais utilisent leur venin sur les proies les plus grosses et coriaces.
Même si, là où ils sont abondants, ils peuvent vivre très près les uns des autres, ce sont des animaux territoriaux qui défendent jalousement leur cachette, n'hésitant pas à expulser violemment les intrus. En revanche, il n'est pas rare que les couples restent ensemble sur de longues périodes de temps.

Un Euscorpius sp. dévorant une mouche, préalablement envenimée.

Craintifs, ces scorpions fuient ou s'immobilisent devant une menace. Attaqués, ils cherchent d'abord à repousser l'assaillant avec les pinces, mais ne piquent qu'en dernier recours.

Distribution géographique

Le genre Euscorpius* se rencontre dans le sud de l'Europe, l'Afrique du Nord et le Moyen-Orient. En France, on le trouve essentiellement dans les départements du pourtour méditerranéen. C'est le seul genre de scorpions présent en Corse. Néanmoins, le caractère synanthrope des Euscorpius, notamment de E. flavicaudis*, en fait un animal susceptible de voyager grâce aux transports humains; il n'est donc pas rare de le trouver hors de son aire de répartition habituelle. Euscorpius flavicaudis* est ainsi présent dans le sud de l'Angleterre; la population de Sheerness Port, dans le Kent, semble toujours florissante bien que potentiellement établie depuis le XIXe siècle.

C'est bien joli tout ça, mais, est-il dangereux?

Réponse courte: non. Les Euscorpius* sont des animaux très calmes, peu réactifs, qui préfèrent la fuite ou l'immobilité face à une menace, et n'utilisent que rarement leur dard pour se défendre. De plus, leur venin est peu actif sur l'homme; aucun cas d'envenimation grave ou de réaction allergique n'est connu dans la littérature.
On compare fréquemment la piqûre d'un Euscorpius* à celle d'une abeille, mais les venins, ainsi que les signes cliniques, sont très différents.
Le cas de réaction la plus aigüe connue à ce jour est celui d'un enfant de 46 kg piqué en Ardèche durant l'hiver 2019, qui a développé de symptômes neurologiques modérés: un engourdissement et des contractions du bras piqué pendant 24h (disparition de tous les symptômes après 72h).

J'ai moi-même eu, à deux reprises, l'occasion d'expérimenter personnellement une envenimation, dans les deux cas en saisissant (stupidement) un scorpion à mains nues. J'ai subi la première à l'âge de sept ans, les souvenirs sont donc un peu flous, mais la seconde est récente :
La piqûre provoque immédiatement une vive douleur, comparable à une braise ou à une cigarette allumée appliquée sur la peau, plus douloureuse que celle d'une abeille. Au bout d'un petit nombre (une dizaine) de minutes, cette douleur semble se calmer, puis revient de nouveau. S'installe alors un cycle alternant entre "vagues" de douleur et accalmies, toutes les 5 à 10 minutes environ. Progressivement, les "pics" de douleur sont de moins en moins intenses et, au bout de 45 à 60 minutes environ, elle devient insignifiante. Je n'ai pas eu d'autres effets ou de séquelles résiduelles.
En définitive, ce n'est pas grand-chose...

Les Euscorpius* sont donc de petits scorpions ni dangereux ni agressifs, squattant occasionnellement les habitations, surtout les constructions anciennes. Quand c'est le cas, la cohabitation avec l'homme est généralement pacifique: on ne les remarque même pas, à moins d'en croiser un dans ses maraudes nocturnes. Si d'aventure on est piqué, pas de panique: une envenimation par un Euscorpius* n'est jamais dangereuse, même pour un enfant ou un animal domestique.
Si vous en trouvez un chez vous, il suffit de l'attraper délicatement avec un récipient et une feuille de papier, et de le remettre dehors, près d'un coin riche en cachettes où il pourra s'installer.

*Note: En Septembre 2019, le genre Euscorpius a été divisé en trois genres: Euscorpius, Alpiscorpius et Tetratrichobothrius. Deux de ces genres sont représentés en France: l'espèce Euscorpius flavicaudis est actuellement seule dans un nouveau genre, et nommée Tetratrichobothrius flavicaudis. Les autres espèces françaises sont toujours, actuellement, dans le genre Euscorpius.
Ce remaniement ne fait pas l'unanimité dans la communauté (très divisée) des scorpionologues.
De plus, pour le non-spécialiste, il représente une difficulté supplémentaire,
T. flavicaudis étant difficile à distinguer visuellement des Euscorpius français.
Enfin, si l'on exclut les deux genres actuellement séparés d'
Euscorpius, celui-ci n'est plus monophylétique, et d'autres espèces comme Euscorpius italicus devraient également en être exclues pour qu'il le soit de nouveau.
Pour ces trois raisons, il a été considéré comme plus fonctionnel, pour l'instant, de ne pas modifier cet article (écrit en janvier 2019) pour y intégrer ce changement.


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Sauf mention contraire, je suis l'auteur des photos, qui ne sont pas libres de droits. 

Bibliographie 

La fonction venimeuse. Sous la direction de Christine Rollard, Jean-Philippe Chippaux et Max Goyffon, Ed. Lavoisier Tec & Doc, Paris, 2015, 448 pp. 

Le reste des références bibliographiques est intégré au texte sous la forme de liens. Ils sont accessibles en cliquant sur les mots en couleur.   

Commentaires

  1. Bonsoir très intéressant ce que vous dites et savez vous ce qui les repousse car j’habite en montagne dans le sud est en à peine emménagé que j’en ai déjà trouvé 2 . J’en ai peur et ma fille aussi. Peut qu’ils montent sur notre lit !
    Quel produit naturel si possible utiliser pour les repousser afin qu’ils ne rentrent pas ds les habitations .
    Merci

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    1. Bonjour, malheureusement, comme pour les araignées, il n'existe aucune solution (naturelle ou pas) pour éloigner les scorpions. Ceci dit les Euscorpius aiment l'humidité et les recoins sombres et bien abrités (fissures des murs, revêtements décollés, derrières les meubles collés contre les murs, sous les plintes...) donc minimiser la présence de ces facteurs peut contribuer à réduire leur nombre...

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