Spider Tales 5: Une mygale dans mon olivier!


En plantant un olivier acheté en jardinerie, un habitant de la Sarthe découvre dans la motte une grosse araignée noire. En y regardant de plus près, il identifie qu'il s'agit d'une mygale, probablement originaire du même pays que la plante, et qui a voyagé avec celle-ci, cachée dans la terre...


Hé minute, ça ressemble presque mot pour mot à une légende urbaine des années 70, ça! Celle où un cactus (parfois un yucca) ramené d'un pays tropical (Mexique, dans la version américaine) se révèle être rempli de mygales!

Surtout qu'on a vraiment toutes les caractéristiques d'un cas d'école de légende urbaine: d'abord, un élément perçu comme effrayant et dangereux par une grande partie de la population (mygale).
Ensuite, le fait que celui-ci soit étranger, habitant de latitudes exotiques (et heureusement lointaines), mais ramené dangereusement près de nous.
Enfin, l'intrusion de ce danger exotique dans notre univers domestique, par le biais d'un objet inoffensif et anodin de notre quotidien (une plante verte), ressort narratif efficace car il rend menaçant un objet familier que l'on a de grandes chances d'avoir à la maison.

Pourtant, une fois n'est pas coutume, l'histoire est vraie de bout en bout. L'aventure de ce Sarthois, relayée notamment par Ouest-France, (qui mérite des félicitations pour cet article de qualité, factuel, et illustré de vraies photos du spécimen trouvé!) n'est d'ailleurs pas un cas isolé.
La même araignée a été, et est encore, trouvée régulièrement un peu partout en France: Gard, Hérault, Vaucluse, Alpes-Maritimes, Pas de Calais (Rollard & Cahuzac, 2018), Gironde, Lot, Haute-Loire... Elle a été aussi observée dans d'autres pays européens, comme l'Italie, la Belgique ou la Suisse.
L'espèce en question est Macrothele calpeiana (Walckenaer, 1805), souvent appelée mygale andalouse par les journaux, originaire du Sud de l'Espagne. Dans la plupart des cas, elle était associée à des oliviers récemment arrivés d'Andalousie ou d'Estremadure.


Macrothele calpeiana, mâle subadulte trouvé dans le Lot (46) par un particulier

Une mygale, et alors?

Commençons d'abord par nous arrêter sur le mot qui fait peur: oui, Macrothele calpeiana est bien une mygale, et alors?
Malgré toutes les idées irrationnelles que l'on peut projeter sur le mot "mygale" dans notre langue, ce terme désigne seulement un groupe taxonomique particulier d'araignées (l'infra-ordre des Mygalomorphae), sans la moindre connotation par rapport à la taille, à l'aspect, la dangerosité ou l'origine géographique de celles-ci. Ce sont des caractéristiques morphologiques particulières qui les différencient de l'autre groupe majeur d'araignées, l'infra-ordre des Araneomorphae; la plus évidente de ces caractéristiques est l'orientation des chélicères (voir image ci-dessous).

les chélicères des Aranéomorphes se font face et fonctionnent comme une pince, tandis que celles des mygales sont parallèles et bougent de haut en bas (source image)

Les mygales, c'est environ 3000 espèces, réparties dans 30 familles (en février 2022).
Même si beaucoup des plus grosses araignées du monde font partie de l'infra-ordre des Mygalomorphes (en particulier de la famille des Theraphosidae), celles-ci ne sont pas toutes de grosses araignées, loin de là: leur taille moyenne se situe autour de deux centimètres, et les plus petites atteignent moins de 2 mm à l'âge adulte.
On les trouve dans le monde entier et sous la plupart des climats, du sud de l'Australie à la Scandinavie. La France n'est pas en reste, avec une grosse vingtaine d'espèces natives du territoire métropolitain, de trois familles différentes (quatre si l'on inclut M. calpeiana, qui n'est pas native).


Atypus affinis, une mygale fouisseuse que l'on peut trouver au cœur de Paris, et jusqu'en Suède (femelle préservée en alcool, 15 mm)

Nous les croisons rarement, car les mygales, en grande majorité (c'est le cas de toutes nos espèces métropolitaines), sont des araignées excessivement discrètes, qui vivent dans des terriers qu'elles ne quittent jamais (à l'exception des mâles adultes, qui cherchent les femelles), à moins d'être accidentellement déterrées quand on remue le sol.

Terrier de Nemesia sp., une mygale française (Marseille, 13)


Les Nemesia spp. sont les mygales les plus représentées en France métropolitaine

Enfin (faut-il vraiment le préciser?), comme pour les autres araignées, presque toutes les mygales sont sans danger pour l'Homme, malgré leur omniprésence comme élément angoissant au cinéma.

En revanche, par rapport aux autres mygales que l'on peut trouver en France, Macrothele calpeiana se distingue par des caractéristiques qui la rendent instantanément reconnaissable.

Description

Macrothele calpeiana est une espèce très facile à reconnaître, et qui ne passe pas inaperçue. 
Sa première caractéristique frappante (celle qui fait que les témoins l'identifient immédiatement comme une mygale) est sa taille. Sans être une araignée géante, elle peut tout de même dépasser 35 mm (sans les pattes) ce qui en fait la plus grosse mygale européenne, et l'une de nos plus grosses araignées. D'autres araignées françaises, aux pattes plus longues, peuvent avoir une envergure plus importante, mais M. calpeiana apparaît particulièrement grosse et charpentée.
Sa carapace luisante, très glabre (toutes les mygales ne sont pas velues!) est d'un noir de jais, comme ses pattes et les autres appendices (pédipalpes et chélicères). Les pattes sont robustes et assez courtes, dotées de nombreuses épines sur les tibias, les métatarses et les tarses (les trois derniers articles des pattes).
L'abdomen est plus mat et plus clair que le reste du corps, avec une coloration bleu-noir ou gris-noir et un aspect velouté. A l'arrière de l'abdomen, les filières particulièrement longues et effilées (il y en a 2 paires, mais seule la 2e paire est longue et bien visible) qui dépassent largement, comme deux queues, permettent de distinguer au premier coup d’œil cette araignée des autres espèces de nos régions.


Vue d'ensemble de Macrothele calpeiana.


Noter les très longues filières à l'arrière de l'abdomen.

Une autre spécificité de Macrothele calpeiana par rapport aux autres mygales européennes, qui se dissimulent dans un discret terrier, est sa toile, nettement plus voyante. Comme le suggèrent ses très longues filières, c'est une grande tisseuse, qui fabrique une large toile complexe, en forme de tapis ou de chapiteau, autour de son terrier, tapissé de soie et en forme de tube. La toile présente généralement plusieurs étages, avec un tube central à la surface du sol, doté de plusieurs entrées qui donnent à la fois sur le terrier et sur la partie supérieure de la toile, ancrée au sol et à la végétation basse.

Toile de Macrothele calpeiana. Remarquer le tube central, au milieu en bas

 L'araignée se tient souvent à l'affût dans le tube, mais se retire dans le terrier à la moindre alerte. C'est une espèce alerte et rapide, très craintive, qui cherche à fuir et se cacher en cas de danger. Même si elle peut être assez réactive voire défensive, elle ne fait face pour mordre que si elle est acculée.

Est-elle dangereuse?

Malgré certaines sources peu fiables qui affirment catégoriquement que oui (au passage, zéro pointé pour 20 minutes: l'araignée illustrée n'est même pas une mygale, et toutes les informations données sont fausses ou incertaines) il n'existe aucune donnée permettant d'affirmer que cette espèce présente un danger pour la santé humaine.
La principale base des rumeurs concernant une dangerosité potentielle était la supposée proche parenté de Macrothele calpeiana avec la mygale australienne Atrax robustus, la seule espèce d'araignée au monde dont le venin est directement capable (sans traitement adéquat) de causer la mort d'un adulte en bonne santé (sans infection ou antécédents médicaux préexistants). Les deux espèces étaient classées dans la même famille (les Hexathelidae), sur des critères de ressemblance morphologique qui se sont révélées être des convergences évolutives: génétiquement, les deux espèces sont très éloignées. Elles sont aujourd'hui placées dans deux familles distinctes, Macrothelidae et Atracidae respectivement.
D'autres espèces du genre Macrothele, en particulier M. gigas, sont connues pour leur morsure réputée dangereuse et la crainte superstitieuse qu'elles inspirent, par exemple à Taïwan. En revanche, aucun décès avéré n'est connu pour aucune espèce de Macrothele, et les effets supposés de leurs morsures étaient, là aussi, largement basés sur leur proche parenté, aujourd'hui invalidée, avec le genre Atrax. Le seul cas de morsure reporté à Taïwan, qui concerne un enfant de quatre ans, est bénin. Même si la possibilité d'envenimations sérieuses n'est pas exclue, il faut prendre en compte que M.gigas est plus de deux fois plus grande que M. calpeiana, donc capable d'administrer des doses de venin très supérieures.

Pour toutes ces raisons, les sources académiques (y compris Rollard & Cahuzac, 2018) s'accordent à dire que, bien que douloureuse, la morsure de Macrothele calpeiana n'est vraisemblablement pas dangereuse pour l'Homme.
En dépit du nombre de rencontres documentées et du tempérament farouche de l'araignée, aucun cas sérieux d'envenimation n'a été enregistré à ce jour: cela montre que le risque de morsure reste très faible, et que, si morsures il y a eu, elles n'ont pas été suffisamment aiguës pour être signalées.
Pas de panique, donc, si cette araignée se montre un jour près de chez vous.

Une espèce rare et protégée...

Si, il y a quinze ans, vous aviez dit à un(e) arachnologue que vous aviez trouvé une Macrothele calpeiana dans votre jardin, il (elle) aurait sans doute eu du mal à vous croire. En effet, à l'origine, cette espèce est endémique des forêts de l'extrême sud de l'Espagne, en particulier des forêts de chêne liège. Ces forêts étant en régression à cause de l'activité humaine, et l'araignée étant considérée comme une espèce rare et bioindicatrice, elle tombe sous le coup d'une double protection à l'échelle européenne (Rollard, 2003). Elle est classée en annexe IV dans la directive "Habitats" du Conseil de la CEE (1992), qui interdit toute dégradation ou destruction intentionnelle de son habitat. Comme aucun site de reproduction français n'est connu pour le moment, cette réglementation ne s'applique pas à notre pays.
En revanche, elle est aussi classée en annexe II de la Convention de Berne, ce qui interdit sa capture, son commerce, sa détention et toute mise à mort intentionnelle d'un individu ou de ses œufs. Il est donc théoriquement interdit de tuer une Macrothele calpeiana, et ce, n'importe où.
Elle est actuellement la seule espèce d'araignée en Europe (Rollard, 2003) à bénéficier de telles mesures de protection (mais probablement loin d'être la seule à en avoir besoin, malheureusement).
Les premières découvertes de cette espèce dans des plantes exportées ont donc suscité l'inquiétude: elles suggéraient que l'Espagne ne respectait pas la directive Habitats et que les cultures grignotaient son milieu de vie...

... Mais très adaptable, et en expansion

On sait aujourd'hui que Macrothele calpeiana est en fait bien plus résiliente que prévu, et que, si elle se retrouve si souvent exportée à l'étranger, c'est parce qu'elle s'accommode très bien de milieux modifiés par l'action humaine. Par ailleurs, cette espèce a notablement étendu son aire de répartition ces dernières années, totalement ou principalement grâce aux transports humains. Elle est désormais établie en Algarve, au Portugal, dans la ville espagnole de Ceuta, sur la côte Africaine, et dans les provinces de Murcie et d'Alicante (Rollard & Cahuzac, 2018). Des populations se reproduisant ont également été observées en Catalogne et en Lombardie, des localités non seulement éloignées de leur aire d'origine, mais dont le climat était supposé inadéquat pour permettre à cette espèce de s'établir.

Aire d'origine (en rouge) et répartition actuelle (en bleu) de Macrothele calpeiana. Cette carte est basée sur les données publiées, il est à peu près certain que des populations non enregistrées existent ailleurs (notamment dans le sud de la France).


En France, on parle sporadiquement de populations établies dans l'Hérault, les Pyrénées-Orientales, le Gard et le Var, mais cette information n'a pas, pour le moment, été vérifiée scientifiquement.
Toutefois, Macrothele calpeiana n'est pas, à l'heure actuelle, considérée comme une Espèce Exotique Envahissante (ou "espèce invasive"), car, bien qu'étant en expansion, aucun impact négatif sur la biodiversité indigène des régions où elle apparaît n'a été observé.

Si vous trouvez cette araignée, contactez des arachnologues plutôt que des pompiers, vous épargnerez un animal protégé, et vous ferez avancer la science (tout en laissant les pompiers se consacrer à des urgences plus pressantes)!


En plus de ressembler terriblement à une légende urbaine, le cas de Macrothele calpeiana est une histoire des plus improbables: celle d'une espèce rare et menacée qui, sous l'action involontaire de l'Homme, étend son aire de répartition bien au-delà des limites auxquelles on la croyait restreinte. La progression de cette espèce mérite d'être suivie de près, car il est difficile de prédire ce que lui réserve l'avenir...


Bibliographie papier:

Rollard C., 2003. Le commerce des araignées et autres arachnides. Bulletin de la Société Zoologique de France 129 (1-2), pp. 49-57.
Rollard C. & Cahuzac B., 2018. Découverte récente d'une mygale dans les Landes: Macrothele calpeiana (Walckenaer, 1805) [Arachnida; Araneae]. Bulletin de la Société Linnéenne de Bordeaux 153: n°46 (2-4) pp. 259-263.


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Sauf mention contraire, je suis l'auteur des illustrations de cet article, qui ne sont pas libres de droits.

Commentaires

  1. Bonjour,

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