Spider Tales 14: L'arachnophobie médiatique

Avertissement: même si la rigueur et l'objectivité sont, comme d'habitude, de mise, et chaque information reste dûment sourcée, des opinions sont susceptibles de transparaître dans certaines parties de cet article. 

 

L'origine de l'arachnophobie fait couler beaucoup d'encre. Cette peur irrationnelle, dont l'intensité et la prévalence dépassent de très loin le danger minime que les araignées représentent, intrigue psychologues, neuroscientifiques et arachnologues.
Toutefois, si l'origine (ou plutôt les origines, car il suffit de s'entretenir avec quelques phobiques pour s'apercevoir que, si les araignées en sont le dénominateur commun, leurs peurs sont très différentes dans les causes et la forme) de l'arachnophobie est débattue, il y a des raisons pour sa prévalence qui n'ont rien d'un mystère. 

Cette phobie a beau être une des plus répandues, elle ne touche pas la majorité. Dans la population occidentale, les araignées ne suscitent une peur panique que chez environ 11% des gens.
Cependant, peur ou pas, le sentiment majoritaire face aux araignées, même chez ceux qui ne les craignent pas ou peu, est une hostilité prononcée, qui résulte très souvent en une mise à mort immédiate de toute bête à huit pattes qui aurait le malheur de se montrer. Cette hostilité s'enracine dans l'idée que l'araignée, sans être réellement dangereuse, reste une indésirable, un animal "malsain" et "nuisible", à éliminer. Craindre, haïr et persécuter les araignées: c'est l'attitude socialement validée et normalisée. Au contraire, les personnes qui ne cèdent pas à la panique et/ou à la violence sont en minorité, et ce sont les gens qui n'ont aucune once de répulsion envers ces petits animaux qui sont vus comme des originaux, des "anormaux"¹.
Ainsi, contrairement à la plupart des autres phobies (celle des oiseaux, l'ornithophobie, par exemple), qui suscitent plutôt l'incompréhension chez les sujets non phobiques, cet état d'esprit ambiant valide, et même entretient, l'arachnophobie chez les personnes qui y sont sujettes¹.

Le fondement de cette attitude est un faisceau de croyances et d'idées reçues négatives qui fait office de connaissance populaire, et lui sert de justification . Elles seraient sournoises, sales, on les tient responsables de tous nos boutons bizarres et lésions inexpliquées, puisqu'elles viendraient nous "piquer" dans notre sommeil, pondraient sous la peau, rentreraient dans nos bouches... Sans compter les espèces vraiment terrifiantes, ces "recluses", "veuves noires" et "araignées-bananes" dont on nous parle dans les journaux.
Les journaux et autres médias, justement, jouent un rôle important dans la transmission de ces idées reçues, et dans la promotion de cette image sinistre de l'araignée.

Particulièrement en Europe et en Amérique du Nord, les médias parlent fréquemment des araignées, d'une manière presque toujours anxiogène et sensationnaliste, et en colportant de nombreuses erreurs. Cette tendance s'est fortement accentuée ces dernières années, la presse surfant sur des psychoses qu'elle a largement contribué à créer et nourrir, comme celle de la "recluse" en France et en Belgique, ou autour de Steatoda nobilis en Grande-Bretagne. N'importe quelle araignée, même complètement inoffensive, est présentée comme un monstre venimeux et maléfique.
Même des nouvelles positives, comme la découverte d'une nouvelle espèce, une amélioration de la situation d'une espèce menacée, ou une étude rappelant à quel point les araignées nous sont utiles sont déformées pour faire peur, à un point souvent ridicule. 

Ce titre ridicule parle en fait d'une étude ayant démontré que la biomasse d'insectes consommés annuellement par les araignées est supérieure à la masse combinée de tous les humains sur Terre, ce qui en fait des auxiliaires précieux pour l'agriculture.

"Des araignées grandes comme la main, qui marchent sur l'eau, en expansion au Royaume Uni". Cet article parle de Dolomedes plantarius, une espèce très menacée dans le pays, dont la population vient de nouveau de dépasser 1000 individus grâce aux efforts de conservation.

Évidemment, si les médias diabolisent ainsi des araignées, ce n'est pas juste pour le plaisir de vous faire peur. Les articles "gratuits" sont financés par la publicité, les informations personnelles des lecteurs étant récoltées pour les annonceurs via les cookies, pour proposer des pubs ciblées et établir votre profil de consommateur (sur ce que vous achetez, ce que vous aimez, mais aussi ce qui vous fait peur, vous choque, ou vous interpelle).
Plus le média engrange de visites et de visionnages de ses articles, plus il est une plateforme intéressante pour la publicité, et plus il prend de valeur. Le meilleur moyen d'attirer une telle attention est de jouer sur les émotions, et la peur est l'un des ressorts les plus efficaces et les plus faciles à exploiter.
De plus, dans cet état d'émotion forte, vous êtes beaucoup moins susceptible de prêter attention à la fenêtre vous demandant votre consentement au sujet des cookies, et de prendre la peine de perdre quelques secondes à chercher comment les refuser. Dans cette optique, les araignées ont le profil parfait: elles sont l'objet d'une peur répandue et de stéréotypes négatifs pré-existants, et des légendes farfelues circulent déjà en masse à leur sujet, ce qui rend le public très crédule.
Par ailleurs, contrairement à ce qui se passe quand on fait la même chose avec des personnes, des communautés stigmatisées ou des animaux plus populaires, on peut dire n'importe quoi à leur sujet sans craindre de s'attirer les foudres des ONG ou des procès pour diffamation et incitation à la haine.
La presse, en particulier la presse gratuite et/ou régionale (surtout en ligne) et les tabloïds, produit donc d'énormes quantités de ces colonnes racoleuses et anxiogènes, aux titres qui sonnent comme des poissons d'avril et aux textes souvent pleins d'erreurs, d'exagérations et de distorsions.

Ce n'est bien sûr pas par plaisir de faire peur, ni par amour du gain que les rédacteurs de journaux s'adonnent à de telles pratiques. Ces "articles de racolage" sont un symptôme de l'état dans lequel se trouvent actuellement la presse et la fonction de journaliste: précarité, sous-emploi et course au buzz sont le lot quotidien du métier. C'est généralement par contrainte financière qu'ils se voient obligés de "faire du chiffre", et de s'abaisser à des procédés dont seuls les tabloïds anglo-saxons les plus dépravés osaient jusque-là faire usage. 

Précisons également ce point: tous les journaux ne pratiquent pas le sensationnalisme arachnophobe, et tous ceux qui le font ne le font pas à chaque fois. Tous les articles parlant d'araignées ne sont pas nécessairement à jeter, même ceux qui contiennent quelques erreurs. L'arachnologie est un sujet pointu auquel peu de gens s'intéressent, et même un auteur rigoureux et consciencieux peut faire des erreurs honnêtes. On ne peut pas reprocher aux journalistes de ne pas être des experts sur tous les sujets qu'ils doivent traiter. 

Le problème n'en existe pas moins: 53% des articles de journaux européens parlant d'araignées sont sensationnalistes.  Par "sensationnalistes", on entend que leur but est de vous faire peur pour que vous le lisiez (ou au moins, que vous cliquiez dessus), pas de vous informer. A part consolider votre peur, les lire ne vous apportera rien; ces articles sont truffés d'erreurs et rarement relus, et les informations qu'ils contiennent sont généralement si exagérées et distordues qu'elles n'ont plus aucun intérêt, quand elles ne sont pas complètement fausses, improbables ou non vérifiées
Il est donc plutôt recommandé de les éviter au maximum, pour vous comme pour les autres: chaque clic, chaque partage, leur donne plus de visibilité, les rend d'autant plus faciles à trouver pour qui cherche des informations sur les araignées, et encourage leurs auteurs à en produire plus. N'oublions pas que les premiers résultats affichés par Google sont les plus consultés, pas forcément les plus pertinents...

Internet, en particulier sur les réseaux sociaux, est littéralement inondé de ces liens qui ne veulent que vos clics. Une simple recherche Google du mot "araignée" produit, dès la première page, des publications qui insistent sur leur dangerosité, tandis que la recherche des mots "araignée recluse" livre des articles alarmistes (et contenant des infos fausses et non vérifiées) dès le deuxième résultat!

Une simple recherche Google du mot "araignée" produit des articles anxiogènes dès le sixième résultat

Une recherche des mots "araignée recluse" produit des articles alarmistes aux informations erronées (un cas de "morsure" en Meurthe et Moselle où le diagnostic a été établi sans preuves) dès le deuxième résultat.


Il en existe tant, sur tant de sujets différents, qu'il serait impossible de les débunker tous un par un, ou même sujet par sujet. De plus, à cause de la loi de Brandolini, le débunking de ces informations fausses mais percutantes touche toujours moins de gens, et requiert beaucoup plus d'efforts, que leur diffusion.
Il est donc important de savoir les reconnaître par soi-même. Ça tombe bien: il existe un certain nombre de critères qui permettent, dès les premières lignes (parfois même dès le titre), de faire la différence entre un article factuel dont le but est d'informer, et un article sensationnaliste qui vise purement à susciter l'émotion.

Heureusement, il y a des options intermédiaires...


Ces critères, ces "red flags" peuvent être spécifiques ou non aux articles sur les araignées (qui ne sont malheureusement pas le seul sujet exploité pour susciter la peur), et plus ou moins faciles à identifier. Les voici donc classés dans un ordre de type "iceberg": plus on descend dans la liste, et plus les critères nécessitent une bonne connaissance des araignées pour les repérer.
La présence d'un, ou de quelques-uns, de ces éléments dans un article n'est pas nécessairement éliminatoire, mais elle doit éveiller votre méfiance, et vous inciter à vérifier soigneusement chaque information (ou même mieux, à éviter de cliquer et aller chercher directement d'autres sources plus fiables). Bien entendu, plus un article contiendra de "red flags", moins il sera digne de confiance.


1. Le clickbait 

Difficulté d'identification: 0/5. Très facile.

Qu'est-ce que c'est?: Le "clickbait" (que l'on pourrait traduire par "appât à clic" en français, mais qui est traduit par "putaclic" dans le langage courant) est sans doute la moins subtile des techniques de racolage médiatique. Il consiste en un titre d'accroche extrêmement frappant et sensationnel, souvent accompagné d'une image choquante. La véracité de ce titre et son adéquation avec le contenu de l'article sont sans importance pour le média, seule compte sa capacité à capter l'attention. Le contenu lui-même présente généralement un fort décalage dans le ton et l'impact des informations par rapport à son titre, et il n'est pas rare qu'il en contredise plusieurs points.

Youtube est le temple du clickbait: la plateforme est inondée d'innombrables vidéos de types "tops" sans intérêt, aux titres frappants et illustrés d'images trafiquées ou hors contexte, dont le seul but est de vous faire cliquer pour que vous visionniez les publicités.

Occurrences: journaux en ligne, réseaux sociaux, plateformes vidéo (comme YouTube). Très fréquent.

En quoi est-ce un problème?: Un titre "clickbait" est complètement en décalage avec le contenu de l'article. Il donne des informations distordues et exagérées à l'extrême, souvent même complètement fausses, qui sont ensuite tempérées, corrigées ou même contredites dans le corps de l'article. Le problème est que le lecteur s'arrête très souvent au titre, surtout si celui-ci est simplement vu en déroulant un fil d'actualité. Les informations déformées ou mensongères qu'il contient sont assimilées d'une manière semi-involontaire par le cerveau, surtout si, par les biais de confirmation et de saillance, celles-ci viennent consolider une appréhension déjà existante, ou font écho à des choses que vous avez déjà entendues ailleurs.
De plus, au-delà du titre, les articles "clickbait" sont généralement d'un intérêt très limité; ils vous feront perdre votre temps sans vous apporter grand-chose.

Comment le repérer?: Si un titre vous paraît grotesque, s'il est exagérément alarmiste, si une image vous semble visiblement trafiquée, c'est généralement un clickbait. Si le trucage n'est pas évident, mais que l'image démontre une volonté de choquer (photo en gros plan de plaie spectaculaire, par exemple, ou d'une araignée dans une posture menaçante), c'en est très probablement un aussi. Ceci dit, si vous avez très peur des araignées et/ou si croyez à certaines idées reçues en ignorant qu'elles sont fausses, les clickbaits peuvent vous sembler moins durs à croire qu'ils ne le sont réellement, donc conservez votre méfiance. Si ça sonne faux, ça l'est probablement, mais si ça sonne vrai, ça ne l'est pas forcément. Si vous allez lire l'article, vous remarquerez aisément une nette différence de ton et d'impact entre les affirmations du titre et les informations données dans le corps: une indication certaine que vous avez eu affaire à un clickbait.

Exemple de décalage entre un titre clickbait et le contenu d'un article: il est indiqué dans le texte que, contrairement à ce que dit le titre, les araignées en question (Dolomedes plantarius) ne font pas la taille de la main, mais celle de la paume (environ 7-8 cm d'envergure), et que leur "expansion à travers le Royaume Uni" est en fait une augmentation de leur population à l'intérieur d'une réserve naturelle. (source)


2. "araignée venimeuse".

Difficulté d'identification: 0/5. Très facile.

Source: France Bleu

source: Le Parisien

Ici, l'araignée en question n'est absolument pas dangereuse, et le mot "venimeuse" est sciemment utilisé pour faire croire au lecteur qu'elle l'est (source: Blick)

Qu'est-ce que c'est?: Il est très fréquent, dans les titres et le corps des articles qui cherchent à faire peur avec des araignées, que l'on trouve les formules "araignée venimeuse" ou "très venimeuse". Le truc, c'est que "araignée venimeuse" est pratiquement un pléonasme. A l'exception de la famille des Uloboridae (290 espèces) et des deux espèces du genre Holarchaea, toutes les araignées connues (50 000 espèces) sont venimeuses! Et presque toutes sont inoffensives, car la toxicité de leur venin pour les humains n'est pas une contrainte de sélection dans leur évolution, donc le terme "venimeux" n'a rien à voir avec "dangereux".
Quant aux formules "très venimeuse", "la plus venimeuse" etc, ce sont des abus de langage. Venimeux signifie "qui produit et utilise du venin"; on l'est ou on ne l'est pas, il n'y a pas "d'échelle de venimosité".
La toxicité est une notion relative qui varie en fonction des sensibilités de chaque espèce. Le fait qu'une espèce, qu'il s'agisse de la nôtre ou d'une autre, soit particulièrement sensible à un venin, ne justifie pas qu'on qualifie son porteur de "très venimeux". Il ne viendrait à personne l'idée de qualifier de "très venimeux" un animal dont le venin est extrêmement toxique pour les mouches mais sans effets sur les humains, donc l'inverse n'est pas plus pertinent.

Occurrences: Journaux en ligne et papier (particulièrement fréquent dans les tabloïds), plateformes vidéo (y compris à vocation éducative), livres pas très sérieux...

En quoi est-ce un problème?:  Presque toutes les araignées sont venimeuses; il n'est donc pas utile de le préciser. De plus, l'amalgame entre les notions de venin et de danger (qui n'ont rien à voir) est largement et sciemment entretenu par les auteurs d'articles anxiogènes, qui jouent sur cette confusion pour faire du clickbait.
Cependant, comme cette confusion est extrêmement répandue, il peut parfois s'agir d'une erreur honnête. Dans ce cas, elle devrait quand même vous mettre la puce à l'oreille, car cette "erreur de débutant" indique que l'auteur n'est pas plus compétent que vous en arachnologie (et même probablement moins), et qu'aucun travail de recherche et de vérification, même basique, n'a été effectué lors de la rédaction de l'article.

l'araignée joro (Trichonephila clavata) est venimeuse, mais inoffensive; c'est d'ailleurs précisé plus loin dans l'article dont ce titre est extrait. Le mot "venomous" est donc là uniquement pour faire peur et attirer l'attention.


3. L'omniprésence de l'appel aux émotions.

Difficulté d'identification: 1/5. Facile à repérer, mais en discerner l'intention peut être plus délicat.

Qu'est-ce que c'est?: L'appel aux émotions est partout dans les articles racoleurs sur les araignées. Il peut s'agir d'adjectifs qui insistent explicitement sur l'aspect anxiogène de l'animal ou de la situation (comme "terrifiante", "horrible" etc), ou de mots à la lourde connotation émotionnelle, qui cristallisent des idées irrationnelles de peur, de danger et de dégout ("velue", "énorme", "tarentule", "venimeuse", "fuir", "invasion"). Un autre type courant d'appel à l'émotion est l'utilisation, au lieu de faits relatés d'un point de vue factuel et impersonnel, d'un témoignage de victime, qui provoque l'empathie et éveille la peur que la même chose vous arrive, à vous ou à l'un de vos proches.

Occurrences: Journaux, en format papier, en ligne, ou télévisés. Très fréquent, c'est même une marque de fabrique du journalisme racoleur de style tabloid.

En quoi est-ce un problème?: Le journalisme actuel est très "émotionnel"; cela aide le lecteur à s'investir, le rend plus réceptif.
Même si cela n'a rien de mal en soi, il faut se méfier quand ce langage de l'affect prend plus d'importance que les faits relatés. Une omniprésence d'adjectifs insistant dessus montre que le but premier de l'article n'est pas de vous informer, mais de vous émouvoir pour avoir votre attention. Le témoignage poignant d'une personne qui relate en détail son calvaire peut juste viser à vous investir dans l'article, mais il peut aussi servir à exciter votre empathie pour endormir votre scepticisme, afin de livrer une lecture subjective des faits comme seul point de vue, et/ou à faire oublier la minceur (voire l'absence) des preuves concrètes corroborant l'interprétation donnée des évènements.

Comment le repérer?: Amusez-vous à compter les mots et les phrases qui font référence à l'émotion ou présentent les choses d'une manière subjective, et ceux qui appartiennent à une analyse factuelle et objective des faits. Si les premiers dominent le propos, c'est que la visée principale n'est pas de vous informer, mais de faire appel à votre affect (donc dans ce contexte, de vous effrayer).

Le tout premier mot de ce titre est "Terrifiante". Vous ne savez même pas encore de quoi il est question, mais vous savez déjà que vous devez en avoir peur...


4. Le déséquilibre dans le détail.

Difficulté d'identification: 1/5. Facile.

Qu'est-ce que c'est?: Les articles qui parlent de morsures d'araignées (supposées ou avérées) décrivent souvent les conséquences de celles-ci avec un luxe de détails et d'insistance. En revanche, les autres éléments importants, comme l'apparence de l'araignée incriminée, les circonstances de la morsure, la fréquence réelle de ce genre d'incidents et les indices sur lesquels le diagnostic de morsure a été basé, sont généralement survolés très brièvement, voire complètement éludés. Bien souvent, le lecteur devra se contenter d'une phrase évasive, voire d'une simple image, qui représente rarement l'araignée responsable (voir n°7 et 9).
C'est aussi très marqué dans les articles décrivant des "invasions" d'araignées; alors que l'article s'épanche généralement en détails sur la panique des "victimes" et les moyens déployés pour "lutter" contre les bêtes à huit pattes, les circonstances exactes (à commencer par le nombre réel d'araignées qui constitue cette "invasion") sont souvent éludées. Bien pratique pour laisser travailler l'imagination du lecteur, qui va se figurer une situation nettement plus dramatique que la réalité...

Occurrences: journaux papier, en ligne et télévisés, principalement dans les articles qui parlent de cas de morsures. Très fréquent.

En quoi est-ce un problème?: Parler longuement d'un élément menaçant sans se donner la peine de le décrire, ni fournir le moindre outil au lecteur pour le reconnaître et s'en prémunir, n'a aucune valeur informative. Le seul résultat que peut donner un tel article, c'est consolider les peurs et faire naître des psychoses collectives. De plus, cette asymétrie du détail est très souvent due à une insuffisance des preuves (aucune araignée n'est décrite car aucune n'a été vue) et à un manque de connaissances sur le sujet de la part de l'auteur. L'absence de cette nécessaire mise en contexte exagère l'impression de fréquence de ces évènements, encourage les diagnostics et autodiagnostics abusifs de morsures, et entretient la peur que n'importe araignée que l'on croise soit une de ces espèces dangereuses dont on parle dans les journaux.

Comment le repérer?: Comptez le nombre de lignes consacrées aux conséquences de l'évènement (par exemple la description des effets de la morsure) et au témoignage de la victime, et celles allouées aux circonstances, à la description de l'araignée, à celle du déroulement détaillé des évènements, à la fréquence de ses morsures, et au contexte. Vous pourrez ainsi aisément déterminer si l'article peut vous apprendre quoi que ce soit d'utile, ou s'il ne va servir qu'à vous faire peur.

 

5. L'absence d'avis d'expert.

Difficulté d'identification: 2/5. Il est très facile de remarquer une absence totale d'avis d'expert. Il est, en revanche, moins facile de déterminer si les "experts" cités sont réellement qualifiés pour s'exprimer sur le sujet (c'est-à-dire experts en arachnologie).

Qu'est-ce que c'est?: Si l'arachnologie était aussi simple qu'une recherche Google, il n'y aurait pas d'arachnologues. Les araignées sont l'un des ordres les plus diversifiés du règne animal, avec plus de 51 000 espèces dans 135 familles. C'est donc un très vaste sujet, auquel peu de gens s'intéressent. C'est aussi un sujet sur lequel circulent énormément de fausses informations, qui sont même bien plus faciles à trouver que les vraies; démêler le vrai du faux requiert donc beaucoup d'expérience et de connaissances. On ne s'invente pas aranéologue du jour au lendemain. Comme pour toutes les autres disciplines scientifiques, les professionnels et hobbyistes qui peuvent légitimement se considérer experts en arachnologie (ou, plus spécifiquement, en aranéologie) étudient à fond le sujet depuis des années, voire des décennies. 
On ne peut donc pas en vouloir aux auteurs de la presse généraliste de ne pas tout savoir sur les araignées; ce n'est pas leur travail, et ce n'est pas un sujet qu'ils ont à traiter fréquemment.
D'où l'intérêt de consulter des experts, afin de confirmer l'exactitude (ou au moins la vraisemblance) des informations que l'on s'apprête à relayer, et de pouvoir enrichir son article de connaissances utiles et rigoureuses.
Malheureusement, les articles incluant un avis d'expert sont rares; bien souvent, personne n'est consulté. Dans d'autres cas, sont recueillis les propos d'un "expert" qui n'est pas du tout arachnologue: vétérinaires, chirurgiens, infirmiers, entomologistes....  Sont tous des experts dans leurs spécialités respectives, mais ce domaine d'expertise n'est pas l'arachnologie. Ils ne sont donc pas particulièrement qualifiés pour identifier une araignée (à moins qu'ils ne cultivent un intérêt personnel, à côté de leur profession, pour l'arachnologie), pas plus qu'un arachnologue ne le sera pour parler d'un oiseau ou d'une plante.
Sans chercher à faire un argument d'autorité, il reste important de garder à l'esprit que les arachnologues sont les seules personnes pouvant présenter des preuves tangibles de leur réelle compétence en la matière. Il ne vous viendrait pas à l'idée d'appeler un médecin pour identifier ce qui cloche avec votre voiture, ou un plombier pour des conseils médicaux...

Occurrences: journaux en ligne, papier, et télévisés. Très fréquent.

En quoi est-ce un problème?: Beaucoup de mythes font office de pseudo-connaissance au sujet des araignées. Faire appel à un.e arachnologue, ne serait-ce que pour simple confirmation, est donc généralement nécessaire pour éviter d'écrire n'importe quoi.
Pourtant, seuls 39% des articles parlant d'araignées dans les journaux européens incluent l'avis d'un "expert" (tous domaines d'expertise confondus), et à peine 17% d'entre eux incluent celui d'un.e vrai.e arachnologue.
Ne pas consulter d'arachnologue, ou leur substituer un "expert" qui n'en est pas un, laisse la porte ouverte à toutes sortes d'erreurs, notamment des identifications inexactes, des avis non pertinents et la propagation d'informations douteuses ou hors contexte pêchées au hasard sur Internet. Un avis d'expert aura aussi tendance à tempérer la teneur sensationnelle du propos. C'est malheureusement la raison pour laquelle il arrive que cette absence de consultation soit délibérée: cela permet de diffuser des informations anxiogènes (et fausses) mais frappantes, que des vrais spécialistes auraient probablement contesté, quitte à publier ultérieurement un second article, cette fois avec avis d'arachnologue, démentant l'original.

Si un.e arachnologue, et non un vétérinaire, avait été consulté.e lors de la rédaction, l'araignée aurait été immédiatement reconnue non pas, comme le clame l'article, comme une Phoneutria nigriventer (l'araignée-banane), mais comme une inoffensive Heteropoda venatoria, fréquemment trouvée comme passagère clandestine dans les cargaisons de fruits exotiques. Adieu scoop sensationnel...

Comment le repérer?: Faites très attention à la source (voir 6.) des informations données. Cette source est-elle explicitement mentionnée? Est-ce un autre journal? Les propos de la "victime"? Ceux d'une personne extérieure présentée comme experte?
S'il s'agit d'un avis d'expert, quel est le métier de cette personne? Arachnologue? Professionnel.le médical.e? Vétérinaire? Pompier? Policier? N'hésitez pas à rechercher son nom, s'il est donné, sur Google.
Conservez une saine dose de méfiance envers les dénominations vagues comme "expert" ou "spécialiste". En effet, dans le monde scientifique, celles-ci ne font pas référence à des titres académiques ni à des métiers particuliers. "Expert" est une fonction ponctuelle et dépendante du contexte, où une personne est appelée à s'exprimer sur un sujet, parce qu'on considère que ses qualifications et son expérience donnent de la pertinence à son avis. Il n'existe cependant aucune définition claire des compétences qui qualifient un "expert". En d'autres termes, n'importe qui peut être proclamé "expert" par un média qui ne se soucie pas trop d'honnêteté.
L'appellation de "spécialiste" (hors domaine médical) est encore plus vague: on qualifie de "spécialiste" quelqu'un qui travaille surtout sur un sujet spécifique, ou cultive un intérêt poussé pour celui-ci. Là encore, le terme est relatif, et n'est défini par aucun critère fixe. Un "spécialiste des insectes" peut aussi bien être un chercheur en entomologie qu'un professionnel de la désinsectisation, ou même juste quelqu'un qui s'intéresse un peu aux petites bêtes. Ces termes vagues doivent donc vous mettre la puce à l'oreille s'ils sont mentionnés sans plus de précisions.
Gardez à l'esprit que devenir un vrai expert (qui peut légitimement être considéré comme tel) dans un domaine requiert des années d'expérience, et que personne ne peut être "spécialiste de tout". A chacun son domaine, être hautement qualifié pour parler d'un sujet spécifique ne donne aucune autorité particulière pour s'exprimer sur un autre...


6. La source 

Difficulté d'identification: 3/5. Quand l'article n'est pas sourcé, il est très facile de le remarquer. Par contre, quand il l'est, savoir si la source est fiable ou non requiert une certaine connaissance de celles-ci.

Qu'est-ce que c'est?: On lit de tout sur les araignées, et surtout n'importe quoi. Comme nous l'avons déjà dit à plusieurs reprises, les journalistes et pigistes qui écrivent pour la presse généraliste ne connaissent pas bien ces animaux. Ce n'est pas grave en soi, ils ne peuvent pas être spécialistes de tous les sujets sur lesquels ils écrivent. Cependant, ce manque de connaissances induit un devoir de transparence par rapport à la source des informations qu'ils relaient.
Quand on ne se trouve pas en capacité de démontrer soi-même l'exactitude d'une information que l'on transmet, il est primordial de citer la source de celle-ci: cela permet d'aller consulter le matériel original, et de se faire une idée de sa fiabilité.
De plus, cela permet aussi, le cas échéant, de se rendre compte du degré de distorsion que le journal a pu se permettre en "vulgarisant" le propos.

Occurrences: Presse en ligne et papier.

En quoi est-ce un problème?: Toutes les sources ne se valent pas! Certaines sont très fiables (publications scientifiques de revues à peer-review, dont les articles sont écrits et révisés par des chercheurs spécialistes du sujet), d'autres beaucoup moins (sites internet lambda, presse généraliste) voire pas du tout (tabloids, médias "à buzz").
Une information relayée par un média ne peut être dissociée de sa source; c'est la fiabilité de celle-ci qui fait sa valeur et atteste de sa pertinence.
Il est donc nécessaire de citer ses sources pour assurer la transparence de l'information. C'est particulièrement important pour les sujets que ni les lecteurs ni l'auteur ne maitrisent bien: cela engage la crédibilité de l'article et l'honnêteté de l'auteur, en autorisant au lecteur d'effectuer par lui-même un travail de recherche et de vérification.
Bien sûr, dans les cas où un journal d'investigation révèle des informations sur une personne ou une entité qui peuvent mettre la vie, la liberté ou la tranquillité de la source en danger, il est justifié de préserver son anonymat, mais ces mesures de protection n'ont pas cours dans le type d'articles dont nous parlons ici: aucune donnée sur les araignées n'est à ce point "sensible"!
Si la source n'est pas indiquée, ou si elle n'est mentionnée que de manière très vague et élusive ("des experts ont conclu", "des chercheurs ont observé"), le journal vous refuse la possibilité de vérifier ses dires. C'est signe qu'il faut se méfier: au mieux, cela montre un manque de rigueur (donc que vous n'avez aucune raison de prendre l'article au sérieux). Au pire, cela suggère que l'on ne veut pas que vous cherchiez à remonter aux sources, soit parce que l'auteur sait que sa source n'est pas pertinente, soit parce que les informations ont été pêchées au hasard, et sans vérification, sur Google.


Ici, la source originale est mentionnée: il s'agit du tabloid anglais The Mirror, un des journaux connus outre-Manche pour ne pas se soucier de la rigueur, ni même de la véracité, des informations qu'ils relaient, tant que celles-ci sont sensationnelles. C'est donc une des pires sources que l'on puisse imaginer.


Comment le repérer?: Méfiez-vous des articles qui ne citent pas la source de leurs informations, de ceux où la seule source est la personne qui a vécu les évènements (sa version des faits peut être subjective, voir 3.), ou de ceux qui ne citent qu'un très vague "les spécialistes", "les médecins" ou "des scientifiques". Un risible "des rumeurs véhiculées sur Internet" ou "une recherche Google" indiquent bien sûr qu'il vaut mieux passer votre chemin.
Si la source citée est un autre journal, consultez-le et voyez si celui-ci cite ses sources. Profitez-en aussi pour enquêter sur la réputation du journal en question, si vous ne le connaissez pas; il y a journal et journal. S'il s'agit d'un tabloid (The Sun, The Mirror, The Daily Mail...), considérez que tout est à jeter: ces journaux sont connus pour raconter n'importe quoi de sensationnel, prouvé ou non, vrai ou non...
Si c'est un propos d'expert qui est cité, assurez-vous que cette(ces) personne(s) est bien qualifiée pour parler d'araignées ( voir 5.). De la transparence sur la fonction des experts en question est un minimum; c'est bon signe si ceux-ci sont nommés (cela veut dire que le journal a suffisamment confiance en la crédibilité de cette personne pour la citer explicitement). Si la source originale est une publication scientifique, allez au moins lire son abstract (que vous pourrez trouver sur Google Scholar; si vous ne lisez pas l'anglais, un traducteur automatique peut vous aider), car les auteurs d'articles sensationnalistes adorent déformer jusqu'au ridicule les propos des scientifiques.


7. La photo d'archive.

Difficulté d'identification: 3/5. Repérer une photo d'archive au premier coup d’œil nécessite de l'avoir déjà croisée à plusieurs reprises. En revanche, il existe des moyen simples pour les retrouver.

Qu'est-ce que c'est?: Très souvent, les articles qui parlent d'araignées sont illustrés d'images d'archive (souvent achetées à des fournisseurs comme Alamy, Shuttershock ou Getty Images, ou empruntées à des archives gratuites comme Wikimedia Commons) à la place de vraies photos de l'animal incriminé, soit parce qu'aucune araignée n'a en fait été observée (cas de morsures suspectées, notamment), soit parce que les photos originales ne sont pas jugées assez belles ou assez percutantes par le journal. 

Exemple d'image d'archive de Loxosceles reclusa issue de Wikimedia, très utilisée par les journaux pour illustrer des articles sur la "recluse"

Occurrences: Presse en ligne ou papier, tabloïds en particulier. Très fréquent.

En quoi est-ce un problème?: Une photo d'archive ne montre pas le spécimen trouvé lors des évènements relatés. Cela implique que si l'animal a été mal identifié (ce qui est très, TRÈS fréquent), il devient impossible de le vérifier. L'utilisation d'images d'archive peut même devenir presque mensongère, quand le journal fait le choix d'illustrer avec une araignée différente (voir 9), beaucoup plus impressionnante que le spécimen trouvé. Elle peut aussi donner une apparence de certitude à des récits entièrement construits sur des suppositions, en montrant l'image d'une araignée là où aucune n'a en fait été observée (c'est particulièrement fréquent avec les morsures suspectées de "recluses").

Comment le repérer?: Quand l'image a été achetée à un site d'archives, celui-ci est parfois crédité.
S'il ne l'est pas, il existe plusieurs solutions pour vérifier si une image provient ou non d'une archive. Vous pouvez taper le nom de l'araignée dans Google images et voir si la photo apparaît fréquemment dans les articles qui parlent de cette espèce. Vous pouvez également, dans le même but, effectuer une recherche inversée de l'image. Si vous connaissez un nom commun anglais de l'animal, vous pouvez le rechercher, accompagné des termes "stock photo" (exemples: "banana spider stock photo", "brown recluse stock photo"). 
Si l'image apparaît dans un site d'archive photo, ou dans plusieurs articles relatant des évènements différents, alors l'image utilisée n'est pas celle de l'araignée trouvée.
Méfiance donc! Partez du principe, dans ce cas, que l'espèce a été mal identifiée (à moins que l'avis d'un.e arachnologue explicitement nommé.e ne confirme directement cette identification), surtout si l'article prétend qu'il s'agit de l'un des "croquemitaines" médiatiques célèbres (araignée-banane, recluse brune, veuve noire).
La démarche inverse peut fonctionner également: vous pouvez chercher plusieurs (idéalement au moins quatre ou cinq) articles relatant le même évènement. S'ils montrent tous la même photo, il y a de fortes chances qu'il s'agisse bien du spécimen trouvé. En revanche, s'ils montrent des images différentes, alors au moins une partie d'entre elles sont des photos d'archive.

Résultats d'une recherche inversée pour une photo montrant une recluse brune (Loxosceles reclusa). On voit que de nombreux médias ont utilisé la même image, dans des articles relatant des évènements différents, dans plusieurs langues. C'est donc une image d'archive, dont les journaux usent fréquemment pour illustrer leurs articles en rapport avec la "recluse".


8. Les noms communs.

Difficulté d'identification: 3/5. Repérer une absence de nom scientifique est très facile. En revanche, des connaissances plus avancées sont nécessaires pour savoir à quelle(s) espèce(s) peut s'appliquer un nom commun, et s'il est utilisé à bon escient ou non pour désigner l'araignée dont parle l'article. 

Qu'est-ce que c'est?: Les noms scientifiques sont souvent rébarbatifs pour les personnes non initiées à la biologie. Il est donc fréquent, dans les articles destinés au grand public, que des noms communs soient utilisés à la place. Le problème, c'est que la plupart des espèces d'araignées n'ont pas de nom commun. Sont donc généralement utilisés des noms vagues, qui s'appliquent à plus d'une espèce (comme "veuve noire" ou "mygale"), parfois même à plusieurs espèces non apparentées ("araignée-banane", par exemple), des noms traduits d'une autre langue, empruntés à une espèce proche ("recluse brune"), ou même des noms inventés de toute pièces par les médias à partir de celui d'une araignée plus célèbre ("false widow" ou "fausse veuve noire" pour Steatoda nobilis).
Idéalement, en plus du nom commun, le nom latin devrait être utilisé au moins une fois dans l'article pour bien préciser de quelle espèce on parle et dissiper toute ambigüité.

En Grande-Bretagne, Steatoda nobilis est l'objet d'une psychose de grande ampleur, créée et nourrie par les tabloids, qui l'ont affublée du nom "false widow" (fausse veuve noire) pour entretenir l'amalgame avec les "veuves noires" et lui donner l'air plus dangereuse qu'elle n'est.


Occurrences:
journaux (papier, en ligne et télévisés), vidéos et autres contenus documentaires destinés au grand public. Très fréquent.

En quoi est-ce un problème?: Même s'ils sont plus abordables que les noms scientifiques, les noms communs sont porteurs d'imprécision et de confusion. Cette imprécision est souvent exploitée pour faire peur, par exemple en utilisant un nom à forte charge anxiogène, à la place d'un autre, plus précis mais moins connoté (exemple: "veuve noire" à la place de "malmignatte" pour désigner l'espèce européenne Latrodectus tredecimguttatus). En plus de susciter une peur disproportionnée, cette ambiguité sur les noms communs véhicule des idées fausses. Ainsi, l'usage abusif du nom "recluse brune", qui désigne l'espèce américaine Loxosceles reclusa, pour parler de sa cousine européenne Loxosceles rufescens, a largement contribué à asseoir la rumeur infondée, relayée par de nombreux journaux, que Loxosceles reclusa aurait été introduite en Europe

Loxosceles rufescens est native du sud de l'Europe, mais le nom de "recluse brune", dont les médias l'ont affublée, a entretenu la confusion avec sa cousine nord-américaine Loxosceles reclusa

Comment le repérer?: Afin de dissiper toute ambiguïté, un article rigoureux doit mentionner au moins une fois le nom latin de l'espèce. Si celui-ci n'est pas donné, méfiez-vous: cela indique que cet article a été écrit par quelqu'un qui ne connaît pas les araignées, qui n'a pas consulté de spécialiste, et qui n'a pas les connaissances (et peut-être pas l'envie) pour relayer comme il faut des informations sérieuses et dignes de foi. Attention cependant, la réciproque n'est pas vraie: ce n'est pas parce qu'un nom latin est mentionné que l'article est rigoureux.

 

9. L'image de la mauvaise espèce.

Difficulté d'identification: 5/5. Remarquer que l'illustration ne montre pas l'espèce d'araignée dont parle l'article requiert une bonne connaissance de ces animaux, même si, parfois, celles-ci n'ont tellement rien à voir que la différence est évidente, même pour un non-initié.

Qu'est-ce que c'est?: Quand le média utilise une photo d'archive (voir 7.) dans un article qui parle d'une araignée, il est très fréquent que l'image représente une espèce différente. Cela peut être dû à une confusion avec une espèce plus ou moins similaire, ou à une volonté délibérée de montrer une espèce plus impressionnante que celle dont parle le récit, afin de faire du clickbait (voir 1). Parfois, la photo est même complètement choisie au hasard.

La Brachypelma sp. utilisée pour illustrer cet article est nettement plus grande et spectaculaire que la mygale andalouse (Macrothele calpeiana) qui se trouvait réellement dans cet olivier (source)

Occurrences: Presse en ligne, papier ou télévisée. Très fréquent, particulièrement chez les tabloids.

Article de tabloid britannique sur une "morsure" suspectée (une infection cutanée qui n'a peut-être rien à voir avec les araignées) imputée à Steatoda nobilis, avec une image qui montre en fait une Amaurobius sp. (source)

En quoi est-ce un problème?: Cette pratique a de nombreux effets pervers. Le principal est de semer la confusion et la paranoïa: quand les médias lancent et entretiennent une psychose autour de la morsure d'une espèce particulière (Loxosceles rufescens en France ou Steatoda nobilis dans les îles Britanniques, par exemple), tout en utilisant n'importe quelles espèces pour illustrer leurs articles (surtout que ceux-ci ne précisent presque jamais comment reconnaître la "bête", voir 4), les lecteurs voient celle-ci dans n'importe quelle araignée croisée à la maison!
D'une manière générale, une illustration qui montre la mauvaise espèce est une indication certaine que l'article a été écrit par des personnes qui, au mieux, connaissent si mal les araignées qu'elles ne savent même pas à quoi ressemble l'espèce dont elles parlent, ou, au pire, cherchent seulement à vous faire peur, et privilégient donc une photo impressionnante plutôt qu'informative.

Comment le repérer?: Parmi nos dix "red flags", celui-ci est peut-être le plus difficile à repérer; il n'existe pas vraiment d'outils qui peuvent se substituer à l'expérience pour identifier les araignées. Les différences d'une espèce à l'autre peuvent facilement échapper à un œil non averti. Cependant, on peut utiliser les outils pour savoir si l'on a affaire ou non à une image d'archive (voir 7), et supposer que, si c'en est bien une, celle-ci ne représente pas la bonne espèce (c'est plus souvent le cas que l'inverse).
Sinon, vous pouvez toujours tenter de rechercher dans Google images (en gardant à l'esprit que Google peut lui aussi donner des résultats inexacts) le nom de l'araignée donné dans l'article, et comparer attentivement avec celle de la photo du journal; si vous remarquez la moindre différence de forme ou de proportions, supposez que ce n'est pas la bonne espèce (ne vous fiez toutefois pas trop aux couleurs, elles peuvent être variables). Enfin, reste la possibilité de s'adresser à un.e arachnologue, si vous en connaissez (au moins de nom); la réponse ne sera peut-être pas immédiate, mais elle sera de bonne qualité.

Il n'est pas toujours évident de remarquer qu'une image ne représente pas la bonne espèce, mais parfois, ça l'est: difficile de trouver une araignée qui ressemble moins à la mygale andalouse (Macrothele calpeiana) que l'araignée-loup (Hogna radiata) de cette photo!

 

10. La présence d'idées reçues, de légendes urbaines, d'erreurs et de factoids répandus. 

Difficulté d'identification: 5/5. Malheureusement, rien ne remplace vraiment l'accumulation de connaissances et d'expérience, la lecture de publications scientifiques et les échanges avec de vrais experts, pour pouvoir démêler les informations scientifiquement prouvées des croyances populaires.

Qu'est-ce que c'est?: Il est fréquent que les articles de presse peu sérieux colportent des informations qui sont en fait des mythes ou des factoids, non prouvés ou démontrés comme faux ou inexacts (c'est ce qu'on appelle de la mésinformation). Parmi les exemples les plus répandus, on trouve la croyance comme quoi la "recluse" impliquée dans quelques cas de morsures en France serait la recluse brune américaine Loxosceles reclusa, alors que l'espèce européenne L. rufescens était la cause de toutes les morsures avérées enregistrées. On trouve aussi (généralement sous-entendue) l'idée omniprésente (mais fausse) que les araignées viennent, fréquemment et sans raison, mordre les humains dans leur sommeil, que ces morsures sont initialement indolores (puisque remarquées au réveil), et qu'un médecin peut identifier la cause d'une morsure suspectée en regardant la lésion. Un autre grand classique est la supposition que toute araignée trouvée dans une cargaison de fruits exotiques est une araignée-banane Phoneutria nigriventer. Enfin, même si de nombreuses sources, y compris dans la presse grand public, débunkent la légende comme quoi les araignées présentes dans la maison rentreraient pour s'abriter du froid, on en trouve encore qui relaient cette croyance et conseillent de sécuriser et traiter les fenêtres et autres ouvertures pour les empêcher de rentrer, ou même qui conseillent des plantes supposées les éloigner. Beaucoup d'erreurs de langage émaillent aussi ces articles, comme les références à des "piqûres" (alors que les araignées ne piquent pas, elles mordent), ou même à des "larves" d'araignées (alors qu'elles n'ont pas de stade larvaire à proprement parler).

Occurrences: Journaux papier et en ligne, surtout les magazines "santé et bien-être", ainsi que les tabloids. Fréquent.

En quoi est-ce un problème?: Beaucoup de ces mythes sont anxiogènes, et très ancrés dans le "savoir" populaire. Les araignées de notre imaginaire sont beaucoup plus effrayantes et dangereuses que les vraies. Chaque article qui les relaie contribue à les enraciner encore plus profondément, et à consolider inutilement les peurs déjà existantes. De plus, ils démontrent que l'auteur de l'article ne connaît pas assez bien son sujet pour faire la différence entre un fait et un mythe, et qu'aucun expert digne de ce nom n'a été consulté, sinon ils auraient été corrigés. Dans les cas où ces mythes proviennent du discours de "l'expert" lui-même, ils en disent long sur ses compétences en arachnologie.

Comment le repérer?: Malheureusement, il n'existe pas vraiment d'outil pour remarquer ce "red flag"; avoir soi-même une connaissance suffisante du monde des araignées pour faire la différence entre les informations véridiques (ou vraisemblables) et les mythes courants est généralement nécessaire. Ceci dit, les six exemples cités plus haut sont parmi les plus répandus; la présence de l'un d'eux est une bonne indication sur la qualité du reste. Vous pouvez également chercher sur des sites de fact-checking (comme Snopes, Hoax-net, hoaxbuster ou Africacheck), et/ou éplucher le reste de ce blog (notamment en vous servant de l'index thématique), pour voir si l'affirmation que vous cherchez à vérifier, ou un mythe similaire, y est répertoriée et débunkée.
Enfin, il reste toujours le recours de vous adresser à des arachnologues pour vérifier directement auprès d'une personne qualifiée. 

 

Cas d'école

Maintenant que nous avons listé les dix principaux critères pour détecter un article anxiogène à éviter,  mettons-nous en situation réelle, avec deux cas d'école que nous allons disséquer ensemble:

 Cas 1. Article publié par France Bleu le 12 Mars 2014: Une famille britannique fuit sa maison infestée d'araignées venimeuses.


 

Dès le titre, plusieurs éléments attirent notre attention: d'abord, les mots-clés "araignées venimeuses" (🚩 n°2). Ici, le terme "venimeuses" est bien entendu utilisé dans le sens de "dangereuses, médicalement importantes"; nous avons vu que ce n'est pas ce que ce mot veut dire. Le fait qu'il soit employé ainsi montre déjà que la rigueur scientifique n'est pas la priorité, mais que l'on a plus probablement choisi ce mot pour sa forte charge émotionnelle. Cette supposition se voit confirmée par le reste du champ lexical : les deux verbes utilisés sont "fuir" et "infestée"; là aussi, un choix de mots à forte connotation anxiogène (🚩n°3). On se figure une scène de film d'horreur, avec famille terrorisée contrainte de sortir en catastrophe d'une maison aux murs couverts de monstres à huit pattes. Ce titre sensationnel a donc toutes les chances d'être un clickbait (🚩 n°1).

Vient ensuite le sous-titre. On saluera l'honnêteté de France Bleu, qui fait preuve de transparence en mentionnant la source originale dès le tout début. On sait donc qu'il s'agit d'un récit de seconde main, originellement publié par le journal anglais The Mirror (The Daily Mirror). Or, le Mirror, au même titre que The Sun ou le Daily Mail, pratique un journalisme de style tabloid, c'est-à-dire mettant l'accent sur le sensationnel et l'émotion, quitte à distordre, tronquer ou exagérer fortement le propos, voire à l'émailler d'éléments inventés. Les tabloids sont aussi connus pour volontiers relayer n'importe quel témoignage, prouvé ou non, vraisemblable ou non, du moment qu'il est accrocheur. On peut donc difficilement imaginer une source moins fiable (🚩 n°6) pour une histoire d'araignées.
Comme dans le titre, c'est l'appel aux émotions qui domine largement le ton du sous-titre (🚩 n°3). On retrouve le pléonasme "araignée venimeuse", cette fois accompagné d'une insistance sur le fait qu'elle soit "l'araignée venimeuse la plus dangereuse du monde". La formule du "domicile infesté" revient également, avec une précision sur le nombre d'araignées: des "centaines de spécimens", nombre sur lequel on insiste deux fois en quatre lignes. Parmi les six adjectifs qualificatifs utilisés, un traduit une émotion (désagréable) et trois sont chargés d'une forte teneur anxiogène (infestée, venimeuses, dangereuses). L'intention peut donc difficilement être plus explicite: on vous raconte une histoire effrayante, pas une info éducative qui va vous apprendre des choses.

Entre le sous-titre et le corps de l'article, on trouve une photo d'araignée, dont la source est précisée: c'est l'image utilisée sur Wikipédia pour illustrer l'espèce Phoneutria nigriventer. C'est donc une photo d'archive (🚩 n°7). Pas moyen, donc, de s'assurer que les araignées trouvées dans les bananes achetées par notre père de famille britannique sont bien des Phoneutria nigriventer, et pas (ce qui est infiniment plus probable) une autre espèce plus ou moins similaire (🚩 n°9).

Le corps de l'article nous donne plus de détails sur l'affaire, mais presque uniquement du point de vue de la famille, sans avis d'expert pour étayer leur récit. Est faite une vague mention de "spécialistes des insectes" qui les auraient conseillés, sans plus de précisions; on ne saura pas s'il s'agit d'entomologistes, d'un service de désinsectisation ou de voisins amateurs. De plus, rien n'indique que ces "spécialistes des insectes" sont également qualifiés pour identifier des araignées (🚩 n°5), qui ne sont pas des insectes. 

On trouve toutefois, dans ce corps d'article, une nuance intéressante: l'usage du conditionnel au sujet de l'identité des araignées, qui "pourraient être" des Phoneutria nigriventer. On nous précise même dans le second paragraphe que les araignées n'ont pas été formellement identifiées par les "autorités", mais que la famille reste persuadée qu'il s'agit de "l'araignée banane". 

Bien entendu, on ne nous dira pas sur quels critères nos Anglais ont pu baser leur certitude d'avoir affaire à cette espèce en particulier. Alors que 12 lignes du corps de texte nous narrent le déroulement de la mésaventure, et huit sont consacrés à la description (exagérée) de la dangerosité de Phoneutria nigriventer et des effets de sa morsure, à peine quatre lignes décrivent, vaguement, ce qu'ils ont observé (🚩n°4). Tout ce que nous saurons, c'est qu'ils ont vu des taches blanchâtres sur les bananes, qui se révélèrent être des cocons contenant "plusieurs larves d'araignée banane (sic)", et "les mêmes taches" sur les fenêtres et les rideaux, qui se sont avérées être des bébés araignées.
C'est peu, mais c'est presque suffisant pour parier qu'il ne s'agissait pas de pontes d'une quelconque espèce de Phoneutria (🚩n°9): celles-ci font de très gros cocons ovigères (qui rappellent, dans la taille et la forme, les dosettes de café pour machines type Senseo®) que la mère garde et tient entre ses pattes. Ces cocons sont bien trop gros pour tenir sur la largeur d'une banane, et il serait donc d'autant plus improbable que l'on conditionne, vende ou achète lesdites bananes sans les remarquer. Difficile, même en restant très vague, de les décrire comme de simples "taches blanches".
En revanche, cette description colle très bien aux petits cocons blancs d'un autre genre d'araignées, que l'on retrouve beaucoup plus couramment sur les bananes originaires d'Amérique du Sud: ceux d'Acanthoctenus spp., des araignées errantes beaucoup plus petites que Phoneutria, et complètement inoffensives.

Cette identification non prouvée, et probablement incorrecte (🚩 n°9), n'est cependant pas le seul factoid erroné relayé dans cet article (🚩n°10). La présentation des faits, qui suggère que l'association avec les bananes suffit à identifier les araignées comme des Phoneutria nigriventer, en est un autre. Il est vrai que le Livre des records a un temps cité cette espèce comme ayant le venin le plus toxique pour l'Homme; ceci dit, cette information, sans support et scientifiquement fausse, n'y figure plus. L'affirmation comme quoi son venin est "30 fois plus puissant que celui d'un serpent à sonnette" n'a aucun sens. Enfin, cette araignée de forêt équatoriale n'a jamais "littéralement envahi la Grande-Bretagne". Cette espèce peuple le Brésil, le Paraguay et l'Uruguay, et n'est pas présente dans les pays d'où la Grande-Bretagne importe ses bananes (Colombie, Equateur, Costa Rica et République Dominicaine, principalement). De plus, les Phoneutria spp., toutes espèces confondues, ne voyagent que rarement avec les bananes; la plupart des araignées exotiques trouvées parmi ces fruits en Grande-Bretagne sont des Acanthoctenus sp., des Heteropoda venatoria, et des Cupiennius sp..

Score de 🚩: 9/10. Plusieurs de nos red flags apparaissent même plus d'une fois dans l'article.

Cet article nous délivre donc une longue liste de factoids anxiogènes, presque tous faux, au sujet d'une espèce dont l'identification est incertaine, et plus que probablement erronée. En le lisant, vous n'auriez donc rien appris, et récupéré au passage pas mal d'idées fausses. Par contre, si vous avez ne serait-ce qu'une vague peur des araignées, il vous aurait terrifié, et probablement dégoûté des bananes pour un bon moment...

Cas d'école 2: Article publié par Ouest-France le 30 Novembre 2015: Lamnay: il découvre une mygale dans son olivier d'Andalousie.

D'office, on remarque que titre de ce second article présente un ton très différent du premier. Chaque mot sert à répondre à une question (Où? Qui? Quoi? Comment?), et se limite à ce rôle informatif. Pas de qualificatifs appuyant le côté anxiogène ("une énorme mygale", "une mygale venimeuse"). Le mot "mygale" n'est pas utilisé pour sa charge émotionnelle, il est factuel, dans la mesure où l'araignée trouvée en est bien une. Le titre n'a donc rien d'un clickbait (🚩n°1 évité).

De même, dans le sous-titre, on retrouve ce ton factuel. Il donne un peu plus de détails sur les circonstances des faits, là aussi sans céder à la tentation de s'épancher en qualificatifs anxiogènes (🚩n°3 évité); tout au plus se permet-on la formule "la bête". Pas une fois, dans tout l'article, il n'est inutilement précisé que l'araignée est venimeuse (🚩n°2 évité).

L'article est illustré de deux photos d'araignée. Il est évident dès le premier regard que celles-ci ne sont pas de qualité professionnelle: un peu sous-exposées, un peu floues, pas très bien cadrées, et probablement prises avec un téléphone portable. Ces indices suggèrent directement que ces photos ne sont pas des images d'archive, et montrent bien le spécimen trouvé par notre Sarthois. Une recherche inversée de ces photos confirme cette supposition: les quelques autres utilisations de celles-ci sont d'autres articles de presse relatant le même évènement. Le journal a donc fait le choix de la rigueur et de la vérifiabilité en montrant la vraie araignée impliquée, plutôt que de privilégier la qualité artistique ou l'impact émotionnel, avec une illustration d'archive (🚩n°7 & 9 évités).

Dans les 15 lignes du corps de texte, on retrouve cette fois quelques termes décrivant des émotions ("une belle frayeur", "j'ai pris peur", "je n'ai pas réfléchi"), mais ceux-ci sont réservés aux deux lignes qui résument les faits du point de vue du protagoniste, et aux quatre lignes du témoignage de celui-ci.  De plus, toutes les mentions d'émotions se réfèrent explicitement à son ressenti personnel. Ce détail peut paraître anodin, mais il a son importance dans l'effet du texte: c'est l'homme qui a eu peur, pas l'araignée qui fait peur. On relate les émotions du protagoniste, sans forcément inviter le lecteur à ressentir les mêmes.

Tout le reste est narré d'un ton neutre et factuel, sans user de qualificatifs anxiogènes ou connotés. La structure narrative est relativement équilibrée (🚩n°4 à peu près évité): deux lignes qui résument l'action du point de vue de notre homme, trois lignes qui le présentent et font une transition vers le récit des évènements, quatre lignes pour le recueil de son témoignage, trois lignes sur un développement possible (potentielle visite des pompiers pour vérifier s'il y a d'autres spécimens), et trois lignes qui nous dressent, dans les grandes lignes, le portrait de l'espèce impliquée, avec mention de son nom scientifique (🚩n°8 évité) : Macrothele calpeiana.
On peut regretter que l'araignée ne soit que sommairement décrite: on sait qu'elle est noire et que son corps mesure environ 4 cm (ce qui, en soi, la distingue de toutes les autres espèces de nos régions), mais nous n'aurons pas d'autres critères d'identification; il faudra se baser sur les photos pour le reste.

Cependant, les informations données sur l'araignée sont, encore une fois, présentées de manière factuelle et non anxiogène. De plus, elles sont correctes et semblent avoir été soigneusement vérifiées; aucun factoid ou mythe n'est colporté (🚩 n°10 évité). Il est dommage que le journal ne cite pas explicitement la source de ces informations (🚩 n°6), dans la mesure où celles-ci émanent, en plus, d'une experte crédible et qualifiée: Dr. Christine Rollard, aranéologue au MNHN, qui a été consultée par téléphone lors de la rédaction de cet article² (🚩 n°5 évité, mais ce n'est pas visible). 

Score de 🚩: 1.5/10. Manque la mention explicite de l'experte consultée, et la description de l'araignée est un peu trop vague.

Même si l'on y trouve quelques entorses à une rigueur parfaite (source des informations non mentionnée, description de l'araignée un peu trop sommaire), on a affaire ici à un bon article, factuel et informatif. Le ton est neutre, documentaire, il ne cherche pas à effrayer le lecteur. En le lisant, vous saurez exactement ce qui s'est passé, et pourquoi. Vous saurez que Macrothele calpeiana est susceptible d'être trouvée dans la motte d'arbres en pot venus d'Espagne, vous saurez (à peu près) à quoi elle ressemble, et d'où elle vient. C'est un article qui pourra vous être utile, qui pourra vous informer utilement et vous rassurer, si la même situation vous arrive. Si vous êtes arachnophobe, la perspective de rencontrer une Macrothele calpeiana ne vous enchantera sans doute pas, mais au moins, vous saurez qu'il n'y a pas lieu de s'inquiéter outre mesure.

Ce dernier exemple nous montre que tout article de journal sur les araignées n'est pas forcément à jeter, et que quand on veut faire un minimum d'effort de rigueur, on peut écrire de la qualité. 

L'arachnophobie pourrit inutilement la vie de millions de personnes, et cause la mort de centaines de millions d'animaux qui n'y sont pour rien.
Ces petites colonnes de faits divers, ces "marronniers" qui font du remplissage et qui, grâce à leur caractère angoissant, font des scores d'audiences assez hauts pour un investissement minimal, ont en fait un impact lourd.
Au-delà des phobies, cette surmédiatisation des morsures d'araignées a des conséquences sanitaires qui peuvent être graves: diagnostics médicaux trop hâtifs, traitements inadaptés ou retardés... Cette attention trop grande portée aux bêtes à huit pattes peut même aller jusqu'à dissimuler des épisodes entiers d'épidémies bactériennes, tant on est prompt à les accuser pour toute lésion bizarre de la peau.
La peur des araignées, et les réactions disproportionnées qu'elle engendre, suscite également un gaspillage de ressources, de temps et d'argent en interventions inutiles: on se souviendra, par exemple, de cette entreprise drômoise qui a fait déplacer les pompiers, ou même de cette école de Montpellier qui a eu recours à la fermeture prolongée de plusieurs classes et à des services de désinsectisation, à cause d'une "invasion" d'araignées. Dans ces deux cas, l'espèce incriminée était l'inoffensive, commune et indigène, araignée-loup radiée (Hogna radiata). Évidemment, les journaux ayant relaté ces affaires n'ont pas souligné le caractère superflu des moyens déployés, ce qui ne fera qu'encourager le public à les croire appropriés.

Hogna radiata est certes une espèce de grande taille, mais elle est inoffensive, commune et native de France métropolitaine. En informant avec rigueur sur cet animal plutôt que de relater les interventions inutiles que certaines rencontres ont suscité, les médias pourraient éviter de nouvelles réactions de panique disproportionnée, au lieu d'en être la cause.


La presse généraliste, par la largeur de son public-cible et son rôle attendu de vecteur d'information, a une portée et un pouvoir sur les mentalités qu'aucun scientifique, vulgarisateur ou média spécialisé ne peut espérer égaler. De derrière leur clavier, les journalistes sont en capacité de rendre une peur universelle, comme ils pourraient la rendre anecdotique, s'ils voulaient s'en donner la peine...

Références:

¹Mokeddem A., Rollard C. Je n'ai plus peur des araignées, Ed. Dunod, Paris, 2018.

²Rollard C., communication personnelle.

Le reste des références est intégré au texte; les mots en vert sont cliquables et vous redirigeront vers les sources.

Les mots en vert et en gras sont cliquables et vous enverront vers un glossaire où ils sont définis. 

La plupart des illustrations de cet article sont des captures d'écran de journaux en ligne, dont la source est mentionnée ou visible directement sur l'image; les quelques-unes qui n'ont aucune source visible sont des photos personnelles, qui ne sont pas libres de droits.

 





Commentaires

  1. Cette publication représente un travail titanesque! Que dire Benjamin? A part BRAVISSIMO, je n'ai rien à ajouter tant le style, la référenciation et la densité du contenu sont admirables comme dans les publications précédentes. L'arachnologie tient au moins un expert (un vrai) avec toi Benjamin:)

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  2. You have a lot of fabulous ideas in this article, i like it!

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