Une adorable nouvelle espèce d'araignée "comme un bijou", capable de vivre des dizaines d'années, découverte

L'araignée à trappe des pinèdes a été trouvée pour la première fois dans l'enceinte du zoo de Miami en 2012, avant qu'un second spécimen soit trouvé- et confirmé comme une douce "câline souterraine"

On pense que les femelles peuvent vivre près de 20 ans

Une adorable araignée mygalomorphe qui utilise une trappe pour se procurer sa nourriture a été découverte; et elle peut vivre plusieurs dizaines d'années. 

L'araignée à trappe des pinèdes a été initialement trouvée dans l'enceinte du zoo de Miami en 2012. 

Son identité est demeurée mystérieuse pendant plus de deux ans, jusqu'à ce qu'un second spécimen soit trouvé, et que le zoo cherche l'aide d'experts.

Et la mignonne araignée - probablement une "câline souterraine", a maintenant été identifiée comme une espèce nouvelle pour la science. 

"Pour moi, elle ressemble à un petit bijou" a rapporté le chargé de conservation du zoo, Franck Ridgley. 


Cette description vous semble ridicule? Il s'agit pourtant simplement d'une traduction mot-à-mot de la première partie d'un article, paru hier, du tabloid britannique The Mirror (ainsi que du Daily Mail, presque identique). La seule altération faite au texte est le remplacement de tous les mots en rouge, à l'origine des formules péjoratives et anxiogènes, par des termes positifs, afin de montrer à quel point l'accent, dans ces articles, est mis sur les émotions (négatives) plutôt que sur les faits.

"Adorable" remplace ici "terrifiante", adjectif utilisé deux fois en 12 lignes, "douce" et "mignonne" remplacent "venimeuse", adjectif qui apparaît également deux fois, "câline souterraine" a été utilisé en lieu et place de "prédateur embusqué", et "bijou" à la place de "tarentule". Là encore, chacune de ces formules apparaît deux fois dans ce court paragraphe. 

Il y a pourtant beaucoup de choses intéressantes à dire sur cette nouvelle espèce du genre Ummidia (famille des Halonoproctidae). Des choses qui sont dites dans la seconde partie de l'article, dissimulée après une seconde image et des liens vers d'autres articles, qui laissent croire, au premier abord, que celui-ci est terminé.
C'est dans cette seconde partie que l'on trouve les propos des experts qui l'ont étudiée, aussi bien du Dr. Ridgley, directeur de conservation du zoo, que de l'arachnologue Dr. Rebecca Godwin, qui l'a décrite comme une nouvelle espèce, Ummidia richmond

Cette araignée fait partie de 33 (!) nouvelles espèces nord-américaines du genre, décrites dans un article tout récemment paru dans la revue Zookeys.

Toutes les Halonoproctidae vivent dans des terriers dotés d'une trappe, sous laquelle l'animal attend ses proies lorsqu'il chasse. Comme toutes les araignées mygalomorphes, elles vivent plusieurs années; certaines espèces du genre vivent une vingtaine d'années (cela n'a pas été vérifié en détail pour U. richmond, qui est une découverte trop récente pour avoir des données précises sur sa durée de vie).

Ummidia richmond se démarque des autres car elle a été trouvée dans une zone urbanisée (le zoo de Miami), et qu'elle semble malheureusement inféodée à un habitat gravement menacé, les pinèdes rocailleuses de Floride, dont la surface actuelle ne représente plus que 1.5% de ce qu'elles étaient à l'origine...

On pourrait présenter cette découverte comme un témoignage de l'importance d'étudier la diversité du vivant dans un monde où de nombreuses espèces disparaissent sans même avoir été connues.
Elle pourrait aussi servir à souligner la richesse biologique des pinèdes de Floride, et la nécessité de protéger les derniers lambeaux de ce milieu gravement menacé. Ou même, peut-on rêver, chercher à attirer la sympathie et susciter, à défaut d'un effort de conservation, au moins une certaine bienveillance, envers des animaux injustement diabolisés et persécutés pour des méfaits dont ils ne sont pas coupables? 

Bien sûr que non. Le journal est un produit, le lecteur un client, et la peur fait vendre. Quitte à présenter un animal en danger critique d'extinction d'une manière qui fera penser "bon débarras" au public.

C'est pourquoi, au lieu de mettre en avant toutes ces informations intéressantes, on préfère d'abord nous bassiner avec un paragraphe insistant sur le fait que cette araignée soit "terrifiante", venimeuse, saisisse perfidement ses proies par en-dessous, puisse vivre, cerise sur le gâteau, "des dizaines d'années", et sur sa ressemblance avec une tarentule, qui pousse le lecteur à l'imaginer énorme...

Toutes les araignées, à de très rares exceptions près, sont venimeuses. Et alors? On apprend, dans la seconde partie de l'article, qu'elle n'est pas dangereuse, alors pourquoi insister là-dessus? 

Concernant sa ressemblance avec une "tarentule", c'est bien logique: les "tarentules" (Theraphosidae) et les Halonoproctidae, font partie de l'infra-ordre des Mygalomorphae... Comme 3000 espèces d'araignées. Là non plus, rien d'utile dans le fait d'insister là-dessus... Surtout que l'araignée ne fait qu'une quinzaine de millimètres de long!

Quitte à citer une phrase des experts consultés, pourquoi mettre en avant cette comparaison avec une "tarentule" plutôt que celles, reléguées au second plan, où ceux-ci s'extasient sur sa beauté ou s'inquiètent pour l'avenir de l'espèce?

On a pu le voir avec les psychoses concernant la "recluse" et d'autres araignées: les médias, avec des articles comme celui-ci, jouent un rôle direct dans la perception de ces animaux par le public. Malheureusement, et en grande partie à cause d'eux, cette perception est pour l'instant extrêmement négative.
Il est terriblement regrettable, mais malheureusement pas surprenant, qu'une telle découverte soit présentée sous un jour aussi peu flatteur.
Il est démontré que l'effort de conservation des espèces (et les fonds alloués à celle-ci) est dépendant de l'affection portée par le public à l'espèce en question; les "invertébrés" en sont donc, bien évidemment, les grands perdants, particulièrement ceux que le public ignore ou redoute.
Les médias généralistes, par leur portée infiniment plus grande que n'importe quel expert, vulgarisateur ou média spécialisé, auraient le pouvoir de vraiment aider la conservation du vivant s'ils le voulaient, plutôt que de faire exactement l'inverse...
Espérons (même si ce n'est qu'un rêve naïf) qu'à l'avenir, ce pouvoir soit utilisé plus sagement, et que nous ayons plus d'articles qui ressemblent à la deuxième partie de celui du Mirror, plutôt qu'à la première...

Par ailleurs, je profite de cet article pour remercier du fond du cœur mes lecteurs, grâce auxquels le blog a dépassé les 10 000 lectures au moment où j'écris ces lignes...

L'image utilisée pour illustrer cet article est la propriété du Zoo de Miami

Les mots en vert et en gras sont cliquables et vous enverront vers un glossaire où ils sont définis.  


Commentaires

  1. Je suis heureux de faire parti des fidèles lecteurs de ce blog. L'information scientifique est tellement mal diffusée...et les journalistes des feuilles à sensations ne font qu'accroître l'inculture du public! Paradoxe du XXIème siècle: jamais l'humanité n'a eu autant de moyens de partager l'information et la culture et pourtant, l'inculture scientifique est aussi affligeante qu'au XIXème siècle;(

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