Expérience d'une morsure de tarentule: rapport

La semaine dernière (plus précisément, le 4 août 2025), il m'est arrivé une aventure peu commune: pour la seconde fois dans ma vie (alors que depuis plus de 10 ans, j'observe, photographie, manipule occasionnellement, et même élève des araignées au quotidien), j'ai été mordu par une araignée. 

Une araignée, et pas n'importe laquelle; une espèce à l'aura légendaire: la tarentule, Lycosa tarantula.

L'araignée en question: une grosse femelle Lycosa tarantula

Pour rappel, "la" tarentule n'est pas une mygale. Si aujourd'hui, par anglicisme et abus de langage, le mot "tarentule" évoque plutôt les grosses mygales de la famille des Theraphosidae, c'est parce qu'elles ont usurpé le nom qui désignait, pour les premiers Européens débarqués sur le continent Américain, la plus grosse et la plus crainte des araignées qu'ils connaissaient sur le Vieux Continent. 
Lycosa tarantula, la tarentule vraie, celle de Narbonne et de Tarente, appartient à la famille des Lycosidae (araignées-loup) dont elle est l'une des plus grosses représentantes européennes.

Lycosa tarantula, la tarentule vraie, n'est pas une mygale, mais une grosse araignée-loup.


La célébrité de Lycosa tarantula, qui lui a valu d'être l'une des très rares araignées affublées d'un véritable nom commun dans de nombreuses langues européennes, vient d'une insolite légende Italienne, qui perdura pendant des siècles

Dans la région des Pouilles, on donnait au venin de la tarentule de terrifiantes propriétés. Sa morsure avait la réputation de causer un syndrome mortel appelé tarentisme, qui se traduisait essentiellement par des symptômes de nature psychiatrique: une apathie et une tristesse extrêmes, pouvant alterner avec des crises d'agitation frénétique (plus de détails sur le tarentisme dans un précédent article). 

D'après la légende, le seul traitement efficace pour empêcher les tarantolati (les personnes atteintes de tarentisme) de mourir de leur tristesse était une danse spasmodique et viscérale, la tarentelle, auquel les malades s'adonnaient, sur la musique du même nom, jusqu'à en tomber d'épuisement. 
Ceci dit, la tarentelle n'était qu'un simple traitement, pas un remède; le tarentisme était réputé incurable, et la danse devait être pratiquée régulièrement pour endiguer les rechutes. Charmant programme... 

Heureusement pour moi, on sait depuis le XIXe siècle que le tarentisme n'est qu'un mythe médiéval, probablement en partie basé sur des cas de réelles affections psychiatriques, mais sans rapport avec la tarentule. La morsure de cette dernière, bien que réputée douloureuse, est sans danger pour l'être humain.

Cependant, il n'existe que peu d'informations sur les conséquences réelles d'une envenimation par Lycosa tarantula. Les morsures de cette araignée plutôt placide sont rares, et comme elles sont bénignes, elles n'attirent pas d'attention médicale; il n'y a donc pas ou peu de rapports détaillés décrivant des cas de morsures confirmées. Décrire la présente expérience, bien qu'elle soit somme toute assez anodine, a donc un certain intérêt scientifique. 

Intéressantes également, les circonstances de l'évènement. 
En effet, les écrits d'époque comme la dissertation de Baglivi (1696) mentionnent que, même dans les Pouilles, la morsure de la tarentule est normalement sans effets notables, sauf au milieu de l'été, durant les dies caniculares du calendrier antique, à savoir la période qui s'étend du 23 juillet au 23 août. 
Ces jours étaient connus pour être, en général, les plus chauds de l'année, chaleur supposée, d'après Baglivi, "exciter" le venin de l'araignée et le rendre plus nocif. 
Le 4 août se situe en pleine période des dies caniculares, et donc, d'après les légendes anciennes, au pic de virulence du venin. 
De plus, la morsure s'est produite aux environs de 13h30, dans un pré en plein soleil; ce jour-là, à cette heure, la température de l'air, à l'ombre, était de 31°C. Bien que les faits ne se soient pas déroulés dans les Pouilles, le changement climatique aidant, l'arrière-pays aixois en 2025 est probablement aussi chaud, sinon plus, que le sud de l'Italie au XVIIe siècle. 

Involontairement, je me suis donc mis dans les mêmes conditions qu'un paysan du Salento médiéval; je n'avais, par ailleurs, rien à ma disposition pour traiter la morsure, donc aucun traitement n'a été appliqué.

Le théâtre des évènements: un pré sec, sous un soleil de plomb, en plein mois d'août à 13h30


Venons-en aux faits. Aux alentours de 13h30 donc, j'étais dans le pré, en train de "pêcher" des femelles Lycosa tarantula dans leurs terriers à l'aide d'une brindille (le but était de les photographier et de les compter pour enregistrer leur abondance, que je compare d'année en année depuis maintenant 3 ans; pour l'instant, la population se porte plutôt bien). 
Habituellement, Lycosa tarantula est très défensive tant qu'elle est à l'intérieur de son terrier, mais son attitude change diamétralement dès qu'elle en franchit le seuil. Hors de son terrier, elle devient normalement une araignée très placide et passive.

Celle que je venais de "pêcher", une grosse femelle de 25 mm sans les pattes était, cependant, la première et la seule exception que j'ai rencontré à ce jour: très défensive dans son terrier, elle le resta en sortant. 
Se plaçant en position d'intimidation et mordant la brindille à l'intérieur de son terrier (ce qui est habituel), elle en franchit le seuil sans perdre sa réactivité et attaqua la main qui tenait la brindille, mordant la chair de la dernière phalange du pouce à plusieurs reprises. 
Me sachant hors de danger, et cherchant à éviter de blesser l'animal (qui, après tout, ne demandait rien à personne et ne faisait que se défendre), je n'ai fait aucun effort pour le repousser. 

Contrairement au comportement typique de son espèce, cet individu a conservé son attitude défensive même hors de son terrier, et a mordu sans hésitation

La morsure elle-même (l'action mécanique des chélicères sur la peau) était relativement douloureuse: la force développée par les chélicères est étonnamment importante, elles pinçaient fortement, et les imposants crochets ont été distinctement sentis en train de percer la peau au moins une fois. Immédiatement après la morsure, une goutte d'un fluide clair (peut-être de la lymphe, du venin, ou un mélange des deux) perlait à chacun des deux points où les crochets avaient pénétré, confirmant visuellement la perforation de la peau. 

Dans les minutes qui suivirent, des symptômes discrets commencèrent à se manifester: une légère rougeur aux environs immédiats de la zone mordue (sans enflure perceptible), une sensation de fourmillements au niveau de celle-ci, et une vague et légère douleur se présentant sous la forme d'une sensation de pulsation très lente. 

Peu après la morsure, une vague rougeur était visible sur une zone d'environ un centimètre autour de la zone mordue (les crochets n'ont laissé aucune trace visible)
 

Un vague engourdissement de la zone mordue et une légère raideur du pouce (trop légère, toutefois, pour gêner la motricité fine du pouce, ni même interrompre la séance photo) se présentèrent dans les 15 minutes suivant la morsure.

30 minutes environ après la morsure, presque tous ces symptômes, à l'exception du léger engourdissement de la zone mordue, avaient disparu. Celui-ci aura persisté durant environ 10 heures.
Aucun autre symptôme ne s'est manifesté dans les heures et les jours suivant la morsure. 
Visuellement, aucune trace de celle-ci n'a persisté plus d'une heure.
 

Une heure après la morsure, aucune trace visible de la morsure (pas même de rougeur) ne persistait sur le pouce

 

Du fait de l'extrême légèreté des symptômes éprouvés, la possibilité d'une morsure sèche (sans venin) ne peut pas être exclue. Cependant, la persistance de l'engourdissement, bien que très léger, durant plusieurs heures, suggère plutôt qu'un venin a bien été injecté, mais que les effets de celui-ci étaient négligeables.

Évidemment, il s'agit d'une expérience personnelle, c'est-à-dire d'une donnée anecdotique qui ne peut être généralisée sans être comparée à un échantillon plus important. Elle est toutefois congruente avec l'état des (maigres) connaissances au sujet de la morsure de cette araignée, qui serait sans effet notables sur les humains.

Bien sûr, aucun des symptômes du tarentisme historique n'ont été observés. D'ailleurs, Baglivi décrit l'expérience d'un de ses estimés confrères, Dr. Bulifonius, de Naples, qui, s'étant volontairement fait mordre par une tarentule, n'a lui non plus éprouvé aucun effet significatif. Bien que Baglivi en tire la mauvaise conclusion (que le climat de Naples n'est pas assez chaud pour "exciter" suffisamment le venin de l'araignée), cette expérience, similaire à la mienne, démontre qu'il y a 300 ans déjà, des scientifiques curieux donnaient déjà de leur personne pour tester la réalité du tarentisme, avec des résultats similaires... 

Enfin, reste un élément qu'il est important de souligner: bien que cette très grosse araignée, longue de 25 mm sans les pattes et dotée de crochets d'au moins 3 mm de long, ait distinctement été sentie en train de mordre et de percer la peau, aucune trace de ses crochets n'était visible à l'endroit mordu
Et c'est bien logique: un crochet d'araignée, c'est petit et fin; comme nous l'avons vu dans un précédent article, les traces de ceux-ci ne sont que rarement visibles, même quand la mordeuse est de grande taille.
Cette expérience donne donc une preuve de plus que dans les cas de vraies morsures, les "deux trous" sont souvent absents, et ne sont pas un critère fiable pour identifier une morsure d'araignée.


 

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Je suis l'auteur des images illustrant cet article, qui ne sont pas libres de droit.


 

 

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